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Management packages, les leçons de la crise de la Covid-19

Publié le 10 juillet 2020 à 15h44

Personne n’aurait pu prévoir le scénario planétaire catastrophe de la pandémie de Covid-19. Aucun investisseur n’aurait pu penser à simuler des «crash cases» avec trois mois privés d’activité. En quoi cette crise impacte-t-elle le modèle des LBO, les pratiques de management package et les relations management/fonds ?Frédéric Balochard, en charge de l’équipe corporate advisory de Natixis Wealth Management, nous livre son analyse sur l’ensemble de ces éléments.

Comme le disait l’un de mes anciens mentors : «La seule chose qui est exacte dans un business plan, c’est… le numéro de la page !» Derrière ce trait d’humour se cache une réalité : la vie d’une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille et les choses se déroulent rarement comme on les a prévues. Le contexte actuel nous ramène à cette amère vérité. Notamment parce que la crise sanitaire de la Covid-19 touche particulièrement les opérations de LBO.

Crise sanitaire ou crise du LBO ?

Les opérations de LBO ont deux caractéristiques majeures. D’abord, elles s’appuient sur une acquisition avec effet de levier dans laquelle une large part de la rentabilité de l’entreprise est utilisée pour rembourser sa dette d’acquisition. Ceci améliore considérablement le rendement des fonds propres, mais fragilise naturellement l’équilibre financier de l’entreprise. Surtout en période de crise, qui s’impose généralement comme un révélateur de faiblesses ou de points forts au niveau des marchés, des entreprises et de leurs équipes dirigeantes.

Par ailleurs, ces mêmes LBO sont structurés par des investisseurs professionnels qui les ont soigneusement sélectionnés. A ce propos, les fonds d’investissement se targuent souvent de contribuer fortement à la croissance, en développant des entreprises plus dynamiques que la moyenne. Ceci est la moindre des choses, lorsque l’on sait que seuls un ou deux dossiers sont retenus chaque année par un fonds d’investissement, sur plusieurs centaines étudiées.

Ce qui sera vrai pour les entreprises le sera donc également pour les fonds. Leurs équipes seront jugées sur la pertinence de leurs choix d’investissements et la capacité d’accompagnement de leurs participations. Les sociétés payées trop cher et surendettées vont être frappées de plein fouet par la crise et risquent d’emporter avec elles certains fonds, qui ne se relèveront malheureusement pas de cet épisode.

Heureusement pour la plupart, tout comme après la crise de 2008, les entreprises ayant fait l’objet d’un LBO devraient passer ce cap difficile. Car parmi elles figurent souvent des champions de leur catégorie, qui survivront grâce à leur dynamisme et à leur capacité d’adaptation.

Pas de remise en cause profonde du modèle du private equity

Le private equity est soutenu par de solides forces de rappel. Le fait que BlackRock, leader mondial de la gestion des actifs cotés, s’intéresse autant à ce secteur semble d’ailleurs abonder en ce sens. Nous en avons été les témoins l’année dernière en accompagnant pour la seconde fois l’équipe de la société eFront, reprise par ce géant.

L’analyse est simple : la baisse de rendement de l’ensemble des classes d’actifs et la très forte volatilité des marchés financiers devraient rendre le private equity plus attractif que jamais. Cette tendance est accentuée par un mouvement déjà bien présent aux Etats-Unis, mais encore balbutiant en Europe. On constate qu’un nombre croissant de banques privées proposent à leurs clients d’investir dans le private equity, qui s’apprête à devenir une classe d’actifs à part entière, et plus seulement un actif «alternatif».

Il s’agit là d’un flot de liquidités, en provenance des particuliers, qui va prendre le relais des investisseurs institutionnels et soutenir cette industrie. Ceci d’autant plus facilement que la faible activité économique et le niveau d’endettement record des finances publiques vont pousser au maintien de taux d’intérêt faibles, garantissant ainsi un accès à un levier financier bon marché.

Même si les investisseurs dans le private equity devront sans doute se résoudre à des performances plus raisonnables à l’avenir, il est probable qu’à court terme, les millésimes 2021 et 2022 se révéleront excellents, comme ce fut le cas après 2008.

Les conséquences pour le management package

Perte de résultats et de cash-flows, arrêt des process de cession en cours, report des opérations programmées, allongement de la durée des deals et sans doute baisse des valorisations… A court terme, la crise de la Covid-19 devrait avoir de multiples répercussions. L’ensemble de ces éléments va conduire à une dégradation globale des performances des LBO en cours. Malgré cet épisode tendu, les fonds ont dans l’ensemble plutôt bien réagi et leurs binômes avec les équipes dirigeantes ont plutôt bien fonctionné.

Il est encore trop tôt pour en tirer un réel bilan sur le long terme. Néanmoins, nous anticipons déjà pour la fin de cette année certaines situations difficiles, au sein desquelles nous constaterons une perte de valeur significative, voire totale, des management packages en cours. Ceci posera nécessairement la question du réalignement des intérêts du management avec ceux des fonds.

Durant ces phases de restructuration, les managers devront compter sur des équipes de conseil très expérimentées et disposant d’une grande compétence technique. Nous serons naturellement présents aux côtés des équipes de management, afin de trouver des réponses adaptées à chaque cas particulier et de préserver les intérêts de nos clients.

Le conseil, plus que jamais un acteur clé

La crise sanitaire actuelle doit nous conduire à beaucoup de prudence et d’humilité dans notre démarche de conseil en management package. L’expérience acquise au cours de la crise de 2008 nous avait déjà incités à faire évoluer nos pratiques, en intégrant une part plus significative d’investissement en instruments de taux. Force est de constater que ces structurations moins «agressives» réagissent beaucoup mieux en période de crise.

Néanmoins, les sujets de dilution des management packages en cours vont clairement apparaître.

Il faudra réinjecter les fonds propres nécessaires aux entreprises, non seulement pour surmonter cette crise, mais également pour leur permettre de saisir les opportunités de croissance qui ne manqueront pas de se présenter. Dans ce contexte, les fonds d’investissement qui se seront bien comportés et auront su pleinement assumer leur rôle d’actionnaires seront mis en valeur.

A l’avenir, nos négociations devront intégrer les leçons de la crise actuelle : il faudra être capable de garantir aux managers le bénéfice des meilleures pratiques du moment, tant financièrement que juridiquement, mais également poser les bases d’une relation saine et durable avec leurs actionnaires, y compris en cas de crise. Dans un environnement incertain, les équipes de management devront pouvoir bénéficier de marges de manœuvre et de temps pour développer leur modèle économique et atteindre leurs objectifs. Cela passera par des niveaux d’endettement raisonnables et la négociation de lignes de capex significatives.

Par ailleurs, il sera nécessaire d’établir un dialogue constructif avec les investisseurs pour que la structuration des management packages comporte une part plus significative de pari passu et pas seulement des outils optionnels à fort effet de levier. Un niveau d’investissement raisonnable des managers et une certaine «sécurisation» de leurs retours dans une zone de performance moyenne du deal ne sont pas un mal nécessaire, ils sont indispensables.

Dans un contexte déjà tendu sur les prix et marqué par une baisse anticipée des multiples de valorisation, les managers vont être encore plus sollicités par leurs actionnaires. Dès lors, notre rôle consistera plus que jamais à faire valoir la légitimité des équipes de management. Nous sommes convaincus qu’il sera possible de négocier des mécanismes de partage de valeur équilibrés, sans pour autant renoncer à des retours très motivants si les meilleurs niveaux de performance sont atteints. 

Frédéric Balochard, responsable de l’équipe corporate advisory de Natixis Wealth Management

Quelles ont été les réactions de vos clients lors de cette crise ?

Ayant eu la chance d’accompagner plus de 50 opérations, nous avons naturellement été en contact avec tous nos clients, sachant qu’aucun des managers que nous conseillons ne nous a appelés pour mesurer l’impact de la crise sur son investissement dans l’entreprise. Il faut rendre hommage à l’ensemble des salariés, mais également aux équipes de management qui se sont totalement mobilisées depuis le début de cette crise, en travaillant souvent jour et nuit sans penser à leur situation personnelle et aux risques encourus, afin de simplement maintenir à flot leur entreprise et sauvegarder les emplois.

Quel est le positionnement de votre équipe au sein du marché des conseils en management package ?

Présents depuis près de 15 ans sur ce marché, nous faisons partie des équipes qui ont largement contribué à faire évoluer cette pratique. Notre activité se fonde sur trois principes :

1° un positionnement à 100 % aux côtés des équipes de management. C’est la raison pour laquelle nous ne conseillons jamais de fonds d’investissement, ce qui nous préserve de tout conflit d’intérêts ;

2° une qualité de conseil et un engagement total aux côtés des managers qui nous font confiance, en s’appuyant sur notre expérience mais également sur une approche pluridisciplinaire du conseil. En effet, nous considérons qu’il est contre-productif de séparer le conseil financier (qui serait naturellement prédominant) des aspects juridiques et fiscaux. Au contraire, nous incitons nos clients à constituer dès le départ un binôme conseil financier/conseil juridique et fiscal. Dans cet esprit, nous travaillons en étroite collaboration avec les principales équipes d’avocats spécialisées de la place. Cela nous permet de garantir à nos clients une qualité d’exécution et la certitude de bénéficier en permanence des meilleures pratiques ;

3° un adossement à une banque de gestion de fortune : nous sommes la seule équipe de conseil intégrée dans une banque de gestion de fortune. Ce positionnement permet aux managers de bénéficier d’un accès privilégié à l’ensemble des expertises d’une grande banque privée : un accompagnement patrimonial de premier plan, un accès unique à des solutions de crédit et la prise en charge de l’ensemble des aspects bancaires liés à l’investissement de personnes physiques dans une opération de LBO. 

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