Rares parce que plus risquées et complexes, les opérations de MBI représentent pourtant la quintessence du savoir-faire des fonds d’investissement : dénicher le bon manager qui saura transformer une PME en mal de successeur en une pépite de croissance.
Qu’on les appelle MBI ou Bimbo, les opérations de buy-out adossées à un nouveau manager restent ultra-minoritaires dans le paysage du private equity français. Bon an mal an, elles dépassent rarement les 10 % des deals signés par les fonds d’investissement hexagonaux selon différentes estimations. Pourtant, dans un contexte où les valorisations atteignent des sommets même pour le segment du mid cap, on pourrait se dire que ces opérations plus complexes et moins intermédiées devraient attirer plus de fonds échaudés par les process ultra-concurrentiels, et lassés des exigences de stars des managers de LBO secondaires et tertiaires.
Certes, ces derniers mois, quelques belles opérations du genre se sont concrétisées, à l’image de Bexley racheté en MBI par LBO France en compagnie d’un ex-manager de Lacoste, ou du réseau de magasins bios La Vie Saine dont le contrôle a été repris par Andera Partners (ex-EdRIP) allié à une ancienne de Monoprix. «Les opérations de management buy-in concernent essentiellement des entreprises valorisées moins de 100 millions d’euros, rappelle Jean-Marie Leroy, qui chapeaute l’équipe small cap de LBO France.Ce sont des opérations plus complexes à négocier et à structurer et de ce fait elles sont souvent moins regardées et donc moins concurrentielles.»
De fait, les MBI sur des entreprises valorisées plus de 50 millions d’euros se comptent sur les doigts d’une main et sont toujours commises par les mêmes «usual suspects», à savoir Argos Soditic et LBO France, qui s’en sont fait une spécialité avec un portefeuille comportant environ 40 % de MBI chacun, tandis que leurs homologues du smid cap se risquent rarement à oser plus d’un deal par millésime.
«Les MBI ont toujours suscité des craintes disproportionnées, pointe Karel Kroupa, associé d’Argos Soditic. Bien sûr, il est indéniable qu’introduire un manager de l’extérieur comporte des risques inhérents à sa méconnaissance de la cible, parfois du secteur, ainsi qu’aux aspects humains qui rendent la greffe incertaine, résume l’investisseur. Mais en contrepartie, ces opérations recèlent souvent un potentiel de développement exceptionnel, car il s’agit la plupart du temps d’entreprises privées d’élan : par exemple par des dirigeants-fondateurs à l’aube de la retraite et focalisés sur leur problématique de succession plutôt que sur des investissements de moyen-long terme pour accélérer la croissance.» Ce qui est d’ailleurs souvent source de frustration pour les équipes en place. Ces dernières fourmillent d’idées de développement mises au placard, et qui ne demandent qu’à s’exprimer… Charge au nouveau manager d’être à l’écoute et ne pas arriver avec une arrogance de nouveau propriétaire qui jette le bébé avec l’eau du bain, tout en tournant la page d’un actionnariat familial souvent très basé sur l’affectif. Un subtil équilibre que les sponsors ont l’occasion de sonder lors des étapes préliminaires du process qui dure en général bien plus longtemps que pour une opération de MBO classique. Et c’est là l’occasion pour le fonds aussi de s’assurer de la compatibilité du nouveau dirigeant avec l’équipe en place ou de rectifier le tir le cas échéant.
Forte volatilité
Quand le casting est réussi, cela peut déboucher sur certaines figures emblématiques du private equity, comme Pierre Le Tanneur, arrivé à la tête d’Eau écarlate (devenu Spotless Group) à l’occasion d’un MBI orchestré par Argos Soditic en 2000 pour une valorisation de 59 millions d’euros et qui a transformé le groupe au bout de quatre LBO pour le revendre 940 millions d’euros en 2014 à l’allemand Henkel. Depuis, il a co-investi auprès d’Eurazeo dans le carve out de Carambar & Co en 2017, dont il est devenu le président non exécutif, histoire de dupliquer le même modèle à l’ancienne division confiseries de Mondelez. Mais les quelques belles success stories du MBI ne sauraient masquer le risque réel de ces opérations complexes. «Si la performance globale des MBI est en ligne avec les autres participations de notre portefeuille, nous constatons un écart plus important entre les belles opérations et les moins réussies», confie Jean-Marie Leroy, avec le recul de la trentaine de deals signés par l’équipe small cap de LBO France, dont 40 % de MBI. Face à cette forte volatilité, les critères de sélection des managers sont on ne peut plus drastiques. «Nous prenons le temps de faire évaluer les capacités du manager et de tester son profil psychologique pour nous assurer qu’il saura s’adapter à l’environnement de la cible, car l’expérience entrepreneuriale peut être parfois idéalisée par des postulants qui ne sont pas faits pour le job», témoigne Jean-Marie Leroy, qui a signé deux MBI l’année dernière avec la reprise du créateur de la technologie de la chaîne rigide Serapid et le distributeur de produits pharmaceutiques sur le continent africain Piex. «En outre, la réussite de ces opérations nécessite un accompagnement très poussé du manager, que nous déployons grâce à notre équipe de performance opérationnelle dédiée», poursuit l’associé de LBO France. Ce n’est donc pas un hasard si les équipes qui se sont fait une spécialité du genre sont aussi celles réputées les plus «hands on».
Un management package au rabais pour le MBI ?
Face aux exigences des managers rodés aux LBO multiples et courtisés par des fonds en mal de cibles attractives, on pourrait se dire que les dirigeants postulant aux MBI sont moins en position de force dans la négociation de leurs packages avec les sponsors. La réalité serait plus nuancée. «Nous avons vu des deals très courtisés par les fonds au stade des enchères, et dans lesquels l’acquéreur sélectionné n’a entamé ses discussions avec les dirigeants de la cible qu’une fois le closing de l’opération réalisé, témoigne un avocat spécialisé. Inversement, nous avons pu constater le très fort pouvoir de négociation de managers dans le cadre de MBI, sans concurrence entre acquéreurs à l’achat, tant le succès de l’investissement reposait sur le management. Cette différence de traitement n’est pas exclusivement due à la «qualité» du management, mais aussi beaucoup à l’industrie sur laquelle l’entreprise opère et à son stade de développement. Il n’y a donc aucune règle absolue en la matière.» Surtout, la professionnalisation de l’écosystème met à la disposition des managers candidats aux MBI une armada de conseils pour les accompagner dans leurs négociations avec les sponsors, même s’ils n’ont encore jamais goûté au levier. D’ailleurs, dans la moitié des cas de MBI, ce sont les dirigeants-repreneurs qui prospectent et dénichent la cible avant de chercher un fonds partenaire.
«Nous tenons à offrir un management package aligné sur les pratiques du marché même à des dirigeants novices et pas suffisamment conseillés, témoigne Jean-Marie Leroy, associé de LBO France. Car il s’agit de ne pas rompre la relation de confiance avec le manager qui finira de toute façon par maîtriser les rouages de ce type de contrat au bout de deux-trois ans.» Mieux vaut donc opter pour un management package «fair» pour ne pas provoquer de rancune chez le dirigeant, même si les taux de rétrocession sont forcément moins avantageux que dans les cas de MBO secondaires avec des dirigeants ayant déjà délivré. Avec une spécificité du MBI : «Nous gardons en général une proportion du package non allouée pendant douze à dix-huit mois pour les recrutements de cadres clés à réaliser si nécessaire, dont une partie le cas échéant peut être finalement réallouée au dirigeant-repreneur lui-même», poursuit l’associé de LBO France.
A la recherche du mouton à cinq pattes
«Nous avons constaté ces derniers mois une demande accrue pour des profils de managers-repreneurs pour des MBI même de la part de sociétés de gestion dont ce n’est pas l’ADN», confirme Isidro Bosch, qui dirige l’activité Banque finance immobilier chez Robert Walters Management de Transition. Mais ces moutons à cinq pattes qui cumulent un track-record opérationnel et une fibre entrepreneuriale ne courent pas les rues. «Les profils recherchés pour les MBI sont très sollicités : ils doivent avoir dirigé des structures petites et moyennes, que ce soit des sociétés familiales ou des business units de grandes entreprises», détaille le recruteur. Exit donc les cadres-dirigeants de grands corporates non compatibles avec l’organigramme aplati d’une PME. Corollaire du premier point, ils doivent faire montre d’une capacité d’adaptation à toute épreuve, et avoir de préférence déjà mis en œuvre une nouvelle organisation ou piloté une transformation opérationnelle dans leur précédente carrière. Laquelle gagnerait à avoir été émaillée d’un LBO, histoire d’être familiarisé avec les sujets de financement et les exigences de reporting d’un actionnariat financier. Enfin, il est fortement recommandé d’avoir déjà une épargne significative à investir, pour assurer le sacro-saint alignement d’intérêts avec le fonds. «Autant dire que les perles rares qui cumulent toutes ces exigences se posent la question de monter des LBO sponsorless sans s’embarrasser d’un fonds, quitte à cibler des entreprises de plus petite taille», fait remarquer Isidro Bosch.