C’est un fait, les grands fonds de capital-investissement ont une stratégie multi-sectorielle. S’agissant de l’investissement sur le continent africain, aux traditionnelles cibles que constituent les secteurs de l’énergie et des infrastructures, s’ajoutent désormais les secteurs des services financiers, des télécoms, de l’immobilier et, plus récemment, des biens de consommation.
On imagine dès lors aisément que, lorsque l’opération implique et cumule (i) la sortie d’un acteur industriel, (ii) un secteur «sensible», tel que notre propre droit national l’entend d’ailleurs (décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable), et (iii) un endettement «projet» non amorti dans la société propriétaire de l’actif ; la procédure de demande et d’obtention des autorisations préalables sera longue.
Dans les deux cas d’espèce du secteur de l’énergie (dont une opération en cours) d’envergure que nous avons pu examiner, la liste des interlocuteurs à convaincre, parce que le droit, le contrat ou la diplomatie l’impose, est conséquente : Etat hôte, société nationale, institutions de financement du développement (IFD), émetteurs de garanties contre les risques de défaillance de la personne publique.
L’approche de l’Etat hôte
Typiquement, la documentation d’un projet de production d’énergie électrique comprend (i) un contrat de concession avec l’Etat hôte, et/ou (ii) un contrat d’achat d’énergie («PPA») avec l’Etat hôte et/ou la société nationale d’électricité. Par ailleurs et lorsque le projet fait à la fois l’objet d’un contrat de concession et d’un PPA, la garantie souveraine de l’Etat est fréquemment apportée à titre de caution ou en qualité de codébiteur solidaire des obligations souscrites par la société nationale au titre du PPA.
En fonction du degré de sophistication de cette documentation, celle-ci subordonnera, à tout le moins, la cession de ces contrats à l’approbation préalable de la partie cédée. En revanche, la question du changement de contrôle est moins souvent appréhendée, laissant fréquemment hors du champ contractuel les opérations intervenant à des niveaux de détention supérieurs à celui représenté par les titres de la société de projet.
Qu’elle soit requise ou non par la documentation de projet et, le cas échéant, de garantie, la notification du changement de contrôle de la société de projet à l’Etat est recommandée : au-delà des textes et stipulations du contrat, il serait imprudent de ne pas mettre en place les conditions d’un dialogue ouvert avec les autorités publiques. Ceci est particulièrement pertinent lorsque l’actionnaire nouvellement majoritaire a la qualité de fonds de private equity et qu’il se substitue à une société industrielle dont la ligne de métier apparaît souvent plus lisible pour les autorités.
L’accord des banques
Autre condition suspensive à la réalisation de l’opération : l’accord des banques. L’écueil de l’imprécision des stipulations contractuelles est ici évité : les obligations sont claires dans la documentation de prêt, et répétées dans des actes autonomes type «share retention deed». Sauf accord, non seulement le contrôle, à quelque niveau qu’il s’exerce, ne peut être cédé mais encore le(s) actionnaire(s) ultime(s) qu’ils soient personnes morales ou physiques, seront tenus de conserver un niveau de détention d’intérêts économiques («economic ownership interest») dans la société de projet emprunteuse dans des proportions à négocier avec les prêteurs. Des «relâchements» par palier sont envisageables mais ils seront souvent assortis du respect préalable de ratios de performance financiers, techniques, environnementaux, entre autres. Lorsque les actifs concernés sont constitués de centrales électriques thermiques fonctionnant au fuel, gaz ou (dans une mesure de plus en plus rare) charbon et que la dette a été levée auprès d’IFD, ces ratios sont encore plus restrictifs et les efforts employés par le fonds à convaincre de sa capacité à les maintenir seront déterminants.
Ici encore, une approche en amont des prêteurs doit être envisagée et préparée. Il n’est pas rare que des cas de défaut latents au titre de la documentation de financement soient mis en lumière lors de la phase d’audit, engendrant la mise en place de mesures de correction à la charge de l’acquéreur et, le cas échéant, une adaptation des critères de performance dans un sens plus restrictif. Il en ira de même s’agissant du respect et de l’incorporation des règles (évolutives) imposées par les IFD, les Nations unies, l’Union européenne et la France (liste des personnes et entités sanctionnées, origine des fonds, blanchiment d’argent, corruption, pratiques frauduleuses ou anticoncurrentielles, etc.)
Cette étape, indispensable, est chronophage et son succès dépendra du degré de préparation de l’acquéreur et de la finesse de la procédure d’audit juridique, financier et technique qu’il aura diligentée.
Bien entendu, l’accord des banques, condition suspensive à la réalisation de l’opération, sera lui-même conditionné à la mise à jour de l’ensemble de la documentation bancaire (y inclus les sûretés) et de projet, que ce soit par voie de novation, cession ou avenant.
Le maintien de la protection contre le risque de défaut
Pièce maîtresse de l’architecture contractuelle d’un «projet power» en Afrique financé par les IFD, la garantie du défaut de la société nationale d’électricité (et/ou, selon le cas, de l’Etat hôte caution solidaire) dans son obligation de payer les factures régulièrement émises au titre du PPA (y inclus au titre du «paiement de capacité» pour de l’électricité qui aurait pu être produite mais ne l’a pas été du fait de la survenance d’un risque mis à la charge de la partie publique) cristallise toutes les attentions.
Placée sous les auspices de la Banque mondiale, l’Association internationale de développement (IDA) basée à Washington D.C. propose des mécanismes de garantie qui semblent continuer de recueillir les faveurs de cette typologie de prêteurs. Le mécanisme est assez complexe (et tous les projets ne sont pas éligibles) en ce qu’il suppose la conclusion d’une multitude d’accords bilatéraux ou multilatéraux entre l’IDA, l’Etat hôte, la société nationale d’électricité et la société de projet mais permet de garantir le remboursement de la dette en contrepartie d’un accord indemnitaire entre l’IDA et l’Etat hôte, qui doit être à l’origine de la demande de garantie et sur lequel repose, in fine, le risque.
Dans son accord avec la société de projet, l’IDA impose également (et donc séparément) des obligations positives et négatives proches de celles figurant dans la documentation de financement et évoquées ci-dessus. Parmi celles-ci, et pour les mêmes raisons, la notification de tous projets de changements de l’actionnariat ultime de la société de projet.
En raison du caractère interpersonnel des relations entretenues entre les institutions de la Banque mondiale et l’Etat hôte et du risque pris par ce dernier en conséquence de la sollicitation du concours de l’IDA au bénéfice d’un projet choisi, le maintien d’une telle garantie post-changement de contrôle ne s’envisage pas, ici encore, sans une approche prudente et préparée des autorités étatiques concernées.
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