Management package

Quand le LBO démocratise l’actionnariat-salarié

Publié le 28 juin 2019 à 15h42

Houda El Boudrari

L’élargissement de l’actionnariat-salarié au-delà du premier cercle de managers connaît un engouement croissant, porté essentiellement par des dirigeants partageurs et des fonds plus sensibles à leur image d’actionnaires responsables.

«Nous observons une forme de démocratisation de l’actionnariat salarié, historiquement réservé aux grandes entreprises cotées, auprès des ETI et des PME du non-coté», souligne Grégory Siesse, senior advisor en épargne salariale et retraite chez Amundi, numéro 1 de la gestion de l’actionnariat salarié en France avec près de 60 % de parts de marché, 270 fonds représentant 40 milliards d’euros sous gestion et près d’un million de salariés actionnaires. Si elle est en forte progression depuis cinq ans, la part du non-coté ne représente encore que 10 % des fonds sous gestion d’Amundi, soit 80 ETI dont un gros tiers sous LBO. Une goutte d’eau dans l’océan des entreprises accompagnées par les fonds d’investissement français qui excèdent les 7 000 sociétés toutes tailles confondues. Cette évolution notable devrait toutefois s’accélérer avec l’entrée en vigueur de la loi Pacte. Le texte promulgué le 22 mai dernier renforce et étend les avantages de l’actionnariat salarié, notamment avec le passage de la décote maximum autorisée pour les entreprises de 20 % à 30 % (pour un blocage de cinq ans) ou la réduction du forfait social sur l’abondement à 10 % et même à zéro dans les entreprises de moins de 50 salariés.

De l’hostilité à la neutralité bienveillante

Ces mesures devraient étendre la pénétration de l’actionnariat salarié dans les entreprises non cotées, même si la marge de progression reste énorme. Le premier sondage réalisé en 2016 par BDO France et Eres estimait seulement à 4 % la part de PME ayant mis en place un tel dispositif. La dernière édition de l’étude d’Eres sur l’actionnariat salarié publiée en septembre 2018 précise toutefois que «pour la majorité des entreprises non cotées, l’entrée d’un nouvel actionnaire est à l’origine de la mise en place de l’actionnariat salarié». L’effervescence du M&A que l’on connaît ces dernières années devrait donc être un moteur d’accélération du mouvement. Et pourtant, le LBO n’est pas forcément un déclencheur pour l’actionnariat salarié, hormis le haut de la pyramide concerné par le management package. «Les fonds sont passés d’une hostilité à une neutralité bienveillante mais ils font rarement preuve de volontarisme sur le sujet», regrette Jean-Philippe Debas, président d’Equalis Capital, première société de gestion dédiée exclusivement à l’actionnariat salarié. A quelques exceptions près, les acteurs du private equity français préféreraient ainsi mettre en place un mécanisme de rétrocession de plus-value après le débouclage du LBO plutôt que d’associer les salariés en amont. «Les actionnaires financiers tiennent avant tout à un alignement d’intérêts pour une sortie maximisant leur profit, d’où la mise en place de clauses de bad leaver pour sanctionner les managers quittant le navire avant le débouclage du LBO, ce qu’ils ne peuvent pas généraliser avec un actionnariat élargi à l’ensemble des salariés» poursuit l’associé-fondateur d’Equalis. Les fonds d’investissement sont également réticents à faire porter le risque actionnarial à l’ensemble des salariés de l’entreprise, craignant l’effet d’un retournement sur le climat social et leur image. Enfin, leur horizon d’investissement dépassant rarement le quinquennat, ils rechignent à mettre en place des dispositifs perçus comme chronophages et fastidieux. «Les freins qui subsistent à la mise en place de ce dispositif relèvent plus de la méconnaissance et de la crainte d’une complexité fantasmée, assure Grégory Siesse. Car l’actionnariat salarié n’a rien de l’usine à gaz : son déploiement est aujourd’hui compatible avec toutes les contraintes du LBO et ne coûte que quelques dizaines de milliers d’euros.»

Renforcer la marque employeur des PME

Toujours est-il que si le LBO n’est pas directement le déclencheur de l’actionnariat salarié, c’est souvent lors des opérations secondaires et tertiaires que le cercle des actionnaires est élargi au-delà des «happy few» managers. Ce fut le cas pour le fabricant de matériel pour les cuisines professionnelles Tournus Equipement, qui avait fait l’objet d’un premier MBO en 2010 orchestré par Qualium avec un management package classique restreint à 8 cadres dirigeants.

«A l’occasion du LBO bis en 2013 avec MML Capital et UI Gestion, j’ai été sollicité par le délégué CGT de l’entreprise qui a mis le sujet de l’actionnariat salarié sur la table», retrace Pierre Marcel, PDG de Tournus Equipement. Le dirigeant, dont la conviction allait aussi dans le sens d’un partage plus équitable de la valeur, s’est saisi de ce dispositif à la fois dans un objectif d’alignement d’intérêts entre l’entreprise et ses salariés mais aussi pour renforcer l’attractivité de la marque employeur de la PME bourguignonne. «L’actionnariat salarié est devenu un véritable outil de marketing pour faciliter les recrutements dans une industrie de la métallurgie où ce type de dispositif reste exceptionnel», s’enorgueillit Pierre Marcel, qui vient de mener la prise de contrôle actionnariale de l’entreprise lors d’un troisième LBO en avril où le management détient 58 % du capital aux côtés du FCPE des salariés à hauteur de 10 %, avec le soutien d’Actomezz, Unigrains et Bpifrance.

Pour le dirigeant de PME, ce dispositif est aussi un outil RH imparable pour créer de la cohésion dans les équipes : «L’actionnariat salarié a permis de décloisonner les différentes catégories de salariés qui se retrouvent fédérées autour de ce sujet commun», témoigne Pierre Marcel, qui prévient toutefois contre la tendance à considérer ce dispositif comme une solution miracle pour pacifier un climat social délétère : «Bien au contraire, rien de pire que d’introduire des questions d’argent pour envenimer des relations sociales conflictuelles ! Il faut d’abord instaurer un climat de confiance et des relations sociales apaisées pour réussir un actionnariat salarié», conseille le dirigeant du premier fabricant français de l’équipement inox pour les cuisines professionnelles.

Kiloutou a testé le «management package» pour tous… puis y a renoncé

«En trois LBO sur plus d’une décennie, nous avons testé plusieurs formules d’actionnariat salarié avant de trouver le bon équilibre entre alignement d’intérêts et partage du risque», résume Xavier du Boÿs, président non exécutif de Kiloutou, qui a passé le relais aux manettes opérationnelles du groupe il y a dix-huit mois. Il faut dire que la culture de l’actionnariat salarié chez le numéro deux français de la location de matériel, créé en 1980 par Franky Mulliez, préexistait bien avant son premier LBO en 2005 avec Sagard, puisqu’il était détenu à hauteur de 8 % par 200 salariés quand le fonds d’investissement sponsorisé par la famille Desmarais en a pris le contrôle des mains du fondateur. Le montage ficelé dans un premier temps donnait 15 % du capital à une trentaine de managers, une mouture assez fermée qui a été plus largement ouverte deux ans plus tard quand l’actionnariat a accueilli 450 salariés sur les 1 500 que comptait le groupe à l’époque. Ce programme baptisé Puissance 3 a permis aux actionnaires salariés de multiplier leur mise par 4,5 lors du débouclage de l’opération en 2011. Pour le LBO bis mené par PAI, toujours aux côtés de Sagard, Xavier du Boÿs franchit une étape supérieure en ouvrant le management package à tous les salariés. «Pour inclure tout le monde dans l’enveloppe attribuée par les fonds, nous avons introduit un biais moins favorable sur le multiple pour les 30 managers qui ont bénéficié du management package du LBO précédent», précise le président de Kiloutou, qui a su convaincre ses actionnaires financiers d’appuyer cette démarche inhabituelle. Cette initiative a suscité l’engouement de 1 200 salariés sur les 3 000 de l’effectif de l’entreprise et le beau dénouement de l’opération en 2017 leur a permis de multiplier leur mise par 5, lors du LBO ter mené par Dentressangle Initiatives et HLD Europe qui ont valorisé l’entreprise 1,5 milliard d’euros. Pour autant, Xavier du Boÿs n’a pas voulu récidiver dans la même formule pour ce troisième LBO et a préféré une répartition plus classique de l’actionnariat sur trois cercles avec des niveaux de risk/award et contraintes différents. «J’ai réalisé pendant ce deuxième LBO que nous avons fait peser un risque trop important sur les salariés et qu’en s’endettant pour devenir actionnaires de l’entreprise, ils rajoutaient du levier au levier du LBO» analyse Xavier du Boÿs, qui a donc fait machine arrière en renonçant à l’égalitarisme actionnarial pour un système différencié en fonction de la contribution de chaque cercle à la création de valeur de l’entreprise et de sa compréhension des mécanismes financiers de la prise de risque actionnariale.

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