Management package

Quelles sont les conséquences de la crise sur les management packages ?

Publié le 10 juillet 2020 à 18h29

Propos recueillis par Coralie Bach, Emmanuelle Serrano et Gilles Lambert

La baisse d’activité et les difficultés économiques générées par le Covid-19 ont mis à mal les business plan des entreprises. Comment dans ce contexte incertain renégocier les management packages pour assurer un alignement d’intérêts entre actionnaires et dirigeants ? Sept experts partagent leurs analyses.

Etat des lieux du marché

Arnaud Mendelsohn, directeur associé, Initiatives & Finances  

L’année dernière, nous connaissions une activité assez forte sur tous les plans. Que ce soit en termes d’investissements, de sorties ou encore de levées de fonds, l’ensemble du marché était très dynamique. Nous sommes entrés dans la crise de manière brutale, sans avoir pu l’anticiper.

De notre côté, nous avons vu un arrêt net du deal flow (ndlr : flux d’investissements potentiels) durant la période de confinement, période durant laquelle nous avons consacré notre énergie au soutien de nos participations : comment s’organiser sur le plan sanitaire, comment gérer les problèmes de trésorerie, puis que faut-il mettre en place pour permettre un redémarrage de l’activité, etc. Nous étions centrés sur la gestion de la crise, et de fait, étions moins actifs sur les sujets de recherches d’opportunités d’investissement ou de réalisations de nouvelles transactions. Sauf quelques opérations de croissance externe, qui pour certaines ont été réalisées pendant le confinement, les deals ont souvent été suspendus, mais reprennent aujourd’hui.

Depuis début juin, nous commençons à nouveau à bénéficier d’un deal flow de meilleure qualité. Je pense que l’activité va se poursuivre sur ce rythme ralenti jusqu’à l’été, et nous espérons qu’elle reprendra pleinement à la rentrée.

Julien Godard, président, Adaxtra Capital  

Sur les aspects de transactions directes, les opérations initiées avant le confinement sont souvent allées jusqu’au bout, avec parfois des renégociations de prix. Nous n’avons par contre pas mené d’opérations nouvelles en avril et en mai. Les investissements reprennent toutefois lentement depuis début juin mais uniquement sur les entreprises qui ont plutôt bien traversé la crise. La reprise plus générale pour l’ensemble des sociétés ne se fera, à mon avis, pas avant six mois voire un an.

Concernant nos portefeuilles, il y a eu évidemment beaucoup de travail d’accompagnement, avec la mise en œuvre de toutes les mesures gouvernementales qui ont permis de soutenir les entreprises. Désormais, les activités redémarrent, et souvent à un rythme un peu plus rapide que celui imaginé, ce qui est positif même si nous devons rester extrêmement prudents.

Enfin, nous investissons également dans des fonds. Les levées se sont poursuivies durant le confinement, et nous constatons aujourd’hui une forte activité. Ces fonds pourront répondre aux besoins de fonds propres des entreprises. Si le prêt garanti par l’Etat est une aide précieuse, il ne remplace pas un investissement de plus long terme et en capitaux propres.

Patrick Mousset, associé, Gowling WLG 

J’ai une pratique annexe en structuration de fonds. Nous ne constatons pas encore de ralentissement des levées dans les fonds de private equity. La confiance existe encore dans ces véhicules dans la mesure où ils s’inscrivent dans des perspectives d’investissement de 10, 12 ou 15 ans.

On voit les LPs s’intéresser en priorité à tout ce qui est technologies, santé et biotechnologies tandis que leur appétence pour les secteurs de la distribution/grande consommation et industries a déjà baissé, tout du moins dans les intentions d’investissement. Néanmoins, cela n’est peut-être que passager. Il est difficile de tirer des leçons de ces deux premiers mois mais pour certaines activités, ce sera assurément plus compliqué de s’en sortir ou d’obtenir la valorisation escomptée par rapport aux niveaux prévus il y a deux ou trois ans lors du lancement de l’opération. La compétition avec les corporates va sans doute être un peu moins forte, car ces derniers vont davantage se concentrer sur leur activité principale et moins sur les build-up. Le nombre de sorties en IPO, qui est déjà faible, ne risque pas de s’accroître.

Cela anticipe un plus grand nombre d’opportunités entre acteurs du private equity, peut-être une moindre remontée des prix du fait de la concurrence potentiellement plus faible avec les industriels, et des changements sur les modalités de sortie.

Quels impacts de la crise sur les management packages ?

Christophe Leclerc, associé, Accuracy 

Tout dépend de l’avancement des dossiers. Concernant les deals qui étaient signés et devaient être finalisés au moment de la crise sanitaire, la problématique est double. Tout d’abord, même si le deal se réalise, sa valeur est plus ou moins affectée par la baisse des marchés. La question de la valeur du management package et de son intérêt pour les dirigeants peut se poser. Nous avons eu des cas où les managers se demandaient s’il était raisonnable pour eux d’investir, dans les conditions définies antérieurement, alors même que la situation financière de l’entreprise allait être durablement impactée par la crise. Les managers se demandent s’ils pourront délivrer les performances sur lesquelles ils s’étaient engagés et sur lesquelles les packages ont été structurés.

Une deuxième problématique porte sur les plans mis en place il y a moins d’un an, notamment avec des actions gratuites. La période d’acquisition de ces titres vient à expiration, et de fait, la valeur des actions peut être bien inférieure à celle qui avait été projetée un an auparavant. Les managers constatent que le chemin qu’ils doivent parcourir devient beaucoup plus difficile à cause de la crise. Les instruments d’intéressement qui leur avaient été attribués sont moins rémunérateurs. Ce sont des conséquences immédiates que les dirigeants peuvent constater lorsque nous réévaluons leurs titres.

Le troisième cas est celui des LBO plus anciens dont la sortie du fonds était prévue à court terme. La cession va certainement être reportée car, sauf en de rares exceptions, comme le digital ou la santé, tous les secteurs sont impactés, de façon plus ou moins forte. Or, si on allonge la durée de détention, on impacte mécaniquement la valeur du management package, étant donné que la plupart des packages intègrent des critères de TRI. Aussi, même pour les entreprises qui ne sont pas en situation de fragilité, la valeur des packages va probablement baisser.

Enfin, une dernière catégorie concerne les entreprises devant être restructurées. Il s’agit alors de mettre en place un nouveau package dans le cadre de la restructuration.

Frédéric Balochard, directeur du corporate advisory, Natixis Wealth Management 

Si je fais un parallèle avec ce que nous avons connu après la crise de 2008, je note une différence. A l’époque, nous fonctionnions essentiellement avec des packages basés entièrement sur le TRI. Depuis, les pratiques ont évolué. Les schémas sont construits soit sur des performances mixtes mêlant TRI et multiple, soit même parfois uniquement avec des multiples. La situation est alors plus confortable pour les managers qui subiront moins les conséquences de l’allongement des durées d’investissement, même si l’impact n’est pas nul. Les managers des participations qui devaient être cédées prochainement seront les premiers touchés, car ils n’auront probablement pas le temps de rattraper le retard pris sur le business plan.

Concernant les futurs investissements, je ne crois pas à une reprise massive des opérations dès le mois de septembre. Je pense qu’il faudra du temps pour retrouver un niveau d’activité d’avant crise. Néanmoins, pour les opérations qui se concrétiseront, il me semble que les investisseurs vont revoir leur politique d’élargissement des management packages.

La multiplication des LBO secondaires, tertiaires, etc., a encouragé une pratique qui consistait à élargir le nombre de personnes concernées par le management package. Généralement, à chaque nouveau tour, on ajoutait de nouvelles populations dans le schéma d’intéressement, en pensant parfois que l’opération serait nécessairement gagnante. Or, dans la période actuelle, chacun réalise le risque réel pris par les managers qui investissent dans un LBO. Dans les prochains mois, on verra sans doute plus de fonds, et même de managers, qui souhaiteront réduire le cercle des personnes concernées par les packages pour les concentrer sur les managers en mesure de comprendre et d’assumer le risque de perte. On sera certainement plus vigilant sur les montants investis. Il est en effet très difficile, lors d’une restructuration, de s’adresser à une centaine de personnes et de leur expliquer que leur investissement n’a plus de valeur. Les discussions sont plus simples lorsqu’elle concerne uniquement les managers clés, mieux à même de comprendre et d’assumer la situation.

Comment renégocier les packages ?

Gabriel Flandin, associé Willkie Farr & Gallagher 

Il est difficile de modifier les instruments émis dans le cadre d’un package, ces derniers ayant fait l’objet d’une valorisation. L’équilibre juridique et fiscal tient, de façon schématique et simplifiée, sur le fait que l’investissement des managers se soit fait à la «bonne» valeur. Il est donc très risqué de modifier cet équilibre en supprimant, par exemple, la condition de TRI pour laisser uniquement une condition de multiple. Si nous voulons améliorer la situation, le plus simple est d’ajouter une «couche» avec des instruments régulés, comme les actions gratuites. Dans ces situations de crise, les actions gratuites permettent de redonner de la valeur sans créer de risque fiscal sur le package car on ne modifie pas le schéma construit au début de l’opération. Cela permet également d’éviter de demander aux bénéficiaires de réinvestir à un moment délicat alors qu’ils l’ont déjà fait au début de l’opération.

Jacques-Henri Hacquin, associé, NG Finances 

Durant les mois du confinement, l’activité d’investissement s’est effectivement fortement ralentie. Cependant, nous avons mené beaucoup d’opérations de réorganisation avec les fonds. Il s’agissait à la fois de restructuration pour des participations durement touchées par la crise, mais aussi de réorganisation plus stratégique pour des entreprises qui ont bien résisté et ont pu, grâce au confinement, prendre le temps de la réflexion.

Nous avons ainsi pu voir différents cas de figure concernant les packages. Certains investisseurs ont mis en place des packages restés en stand-by, du fait de l’activité soutenue post-acquisition, par exemple avec la mise en place d’actions gratuites ou AGADP. D’autres packages ont été transformés, en allant au-delà des questions de multiple et de TRI. Il s’agit de préparer un package pour une sortie afin d’accompagner une réorganisation du business plan pour les 12 ou 24 prochains mois. La transformation ou le rachat de package peuvent être envisagés, notamment lorsque les actions gratuites ne peuvent pas fonctionner. On peut également modifier les seuils de TRI et transformer les actions de préférence (ADP) en une autre classe d’actifs dans un contexte de sortie à 18 mois. Il n’y a donc pas une seule version de structuration de package mais une complémentarité de plusieurs sujets.

Enfin, entre avril et juin, nous avons accompagné peu de nouvelles opérations. Pour les quelques opérations réalisées, nous n’avons pas vu d’évolution dans la structuration des packages, en tout cas pour le premier cercle de managers. Il faut noter que pour les opérations réalisées sur cette période, les sociétés acquises ont démontré leur résilience à l’épidémie de Covid-19. Toutefois, il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur ce point.

L’opérationnel avant le financier

Patrick Mousset 

Actuellement, les notions de package et d’intéressement sont un peu loin des managers et des fonds que je côtoie. Ils sont concentrés sur la solvabilité et le renforcement de la santé financière de leurs entreprises. Côtoyant des groupes dans différents secteurs d’activité (aéroportuaire, éducation, énergie, restauration, service, services à la personne, etc.), ceux-ci ont des problématiques totalement différentes avec néanmoins une typologie récurrente : les sociétés à rentabilité moyenne pour lesquelles il se pourrait qu’il faille élaborer des solutions judiciaires ; des sociétés demandant des restructurations financières plus ou moins importantes, suivant le secteur d’activité plus ou moins résilient à la crise ; et des entreprises qui allaient assez bien mais dont la situation a été obérée par l’interruption totale d’activité pendant des mois et une reprise assez lente.

Durant la crise de 2009, les investisseurs financiers de private equity ou de dette, dont la puissance commençait à grandir, avaient une certaine «agressivité» face à des managers ayant voulu prendre le contrôle ou aller en conciliation sans avoir l’accord des investisseurs financiers. Aujourd’hui, les fonds et les managers touchés par la crise actuelle devraient plus se concerter que se disputer. Ce n’est pas une crise rampante dont les effets se font ressentir quelques années plus tard, il s’agit d’une crise impactant l’ensemble de l’économie aussi bien française qu’internationale avec un effet immédiat. Beaucoup ont souhaité bénéficier des prêts garantis par l’Etat (PGE) permettant dans un premier temps d’éviter l’injection de new money. Les projets de restructuration financière seront nombreux, soit par voie d’emprunt, soit par injection d’argent frais mais pas forcément dans l’immédiat. Des discussions sont aussi menées avec les prêteurs du fait que certains covenants bancaires n’ont pas été ou ne seront pas respectés. Néanmoins, la motivation est maintenue et les intérêts restent alignés de part et d’autre car si le management perd ou se perd, l’investisseur financier peut également en pâtir. Les deux parties prenantes sont donc centrées sur le redémarrage de l’activité et non sur les questions de management package. Actuellement, nous travaillons sur plusieurs opérations de croissance externe comme par exemple dans le monde de l’éducation qui n’est pas autant impacté par la crise car les cours peuvent être donnés à distance. A l’inverse, dans l’aéroportuaire, la situation est passée d’une activité dynamique à une situation ubuesque sans visibilité sur l’avenir des groupes de ce secteur, d’autant que les réponses gouvernementales ont été très diverses d’un pays à un autre. Les enjeux en droit social et commercial sont très complexes.

Arnaud Mendelsohn 

Il est effectivement trop tôt pour tirer des conclusions sur l’impact de la crise sur l’engagement des managers. Quels que soient les secteurs et les retombées de la crise sur le niveau d’activité des sociétés, les managers se sont concentrés sur les aspects opérationnels et ont mis de côté leurs objectifs personnels. C’est ce qu’on a pu constater dans nos participations. Nous n’avons pas eu de demande de renégociation des packages ou même de discussion à ce sujet. Nous nous sommes concentrés sur la gestion opérationnelle des entreprises, leur redémarrage ou la restructuration de leur dette quand c’était nécessaire, tout en finalisant les opérations de croissance externe en cours. De toute manière, à l’heure actuelle, nous serions bien en peine de remettre à plat les prévisions et perspectives des packages existants car nous manquons de visibilité sur la vitesse de redémarrage effective de l’activité.

Gabriel Flandin 

En tant que conseil, et pour avoir été en contact avec des managers au sein de participations de nos clients, je partage votre impression. Nous avons clairement vu que la priorité était de sauver le business, quel que soit le degré de gravité de la situation traversée par l’entreprise. Au-delà des questions liées au package lui-même, il y a aussi l’aspect du calendrier. Que ce soit pour préparer une sortie ou pour réviser un package, il faut bénéficier de visibilité sur les comptes et la trajectoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour de nombreuses entreprises. Il va y avoir des problématiques de comptes pro forma pour essayer d’isoler des problèmes plus structurels ce qui est lié à l’accident conjoncturel. Tant qu’on ne dispose pas de cette visibilité, réfléchir à de nouvelles courbes de rétrocession est très délicat.

Arnaud Mendelsohn 

Pour beaucoup de sociétés, nous avons l’impression que l’impact est purement conjoncturel, avec une baisse d’activité suivie d’une reprise à échéance plus ou moins longue. Mais il est certain qu’il faut d’abord avoir constaté cette reprise, et le rétablissement d’un environnement favorable pour l’entreprise, pour pouvoir établir de nouveaux business plans. J’aurais aimé connaître à ce propos l’avis de Jacques-Henri Hacquin sur la valorisation des packages. 

Compte tenu de cette absence de visibilité et du niveau de risque que nous n’avions probablement pas anticipé dans les modèles, y aura-t-il des évolutions dans ce domaine ?

Revoir les méthodes de valorisation

Jacques-Henri Hacquin 

Concernant la prise en compte de la valorisation de ces instruments par rapport à l’univers économique, nous utilisons des approches de valorisation qui font appel à des méthodes dans un univers risque neutre. Lors des simulations de fonds propres, la volatilité calculée est un élément extrêmement sensible, avec l’impact le plus prononcé sur la valorisation des instruments. L’incidence d’une crise ponctuelle, qu’elle soit sanitaire ou économique, sur une société ou une holding non cotée, peu liquide, se traduit principalement par l’évolution de cette volatilité. En fonction de cela, nous pouvons établir des simulations en prenant en compte tous les scénarios positifs et négatifs pour l’entreprise jusqu’au risque de défaut afin d’établir des probabilités concernant la survenance effective de ces flux baissiers.

Ces évolutions peuvent avoir des retombées importantes sur les packages soit à la hausse, soit à la baisse. Cela peut être à la hausse, si on est sur des seuils de déclenchement faibles à maturité très courte ou bien à la baisse, si on est sur des seuils de déclenchement très élevés avec des objectifs peu atteignables.

Donc l’impact sur le package dépend à la fois de la volatilité du secteur et de la façon dont on structure ou dont on ajuste les seuils de déclenchement, selon des critères de TRI ou multiples. En supprimant les seuils de TRI, vous pouvez faire bondir la valeur du package car vous supprimez l’effet temps dans le package.

De plus, le package est lié au sous-jacent de l’entreprise. Sur ce point, on manque de recul mais il peut y avoir un impact sur la valorisation de l’entreprise, notamment sur les méthodes de calcul de cette valeur d’entreprise : DCF ( discounted cash flows), WACC (weighted average cost of capital), rendements attendus sur des multiples ou dividendes futurs attendus. La crise sanitaire peut être vue comme un événement ponctuel, mais nous valorisons aujourd’hui les sociétés en ajustant la valeur des flux des deux ou trois prochaines années, soit 2021-2023, et nous ne touchons pas à la valeur terminale et au flux à l’infini sur une valorisation DCF.

Arnaud Mendelsohn 

De notre côté, nous avons constaté une évolution importante des méthodes de valorisation ces dernières années entraînant une inflation de la valorisation des packages, notamment pour des raisons de sécurité fiscale. Avec la crise actuelle, je me demandais si on assistait à un retour en arrière avec la prise en compte de risques systémiques, ce qui a été assez rarement fait ces dernières années dans les packages.

Frédéric Balochard 

Il y a plusieurs sujets qui se télescopent à ce propos : d’une part la valorisation des outils optionnels, et d’autre part les supports utilisés pour les structurer. Cela aura un impact car la notion de risque revient sur le devant de la scène et comme tout investissement, un management package est une combinaison de risque et de rendement. Nous nous focalisons beaucoup sur le rendement potentiel mais il ne faut pas négliger l’aspect risque. Quand les tours de table successifs s’enchaînent, les montants réinvestis en euros (car pour une personne physique l’investissement se traduit d’abord en montants investis et non en pourcentage de capital) peuvent être significatifs. Un package, c’est certes une composante optionnelle à fort effet de levier, mais c’est aussi un investissement pari passu avec des instruments mixés dans la même proportion que le fonds. Le défi est de conserver ce côté très incitatif pour la performance, tout en maintenant un investissement pari passu significatif pour amortir les chocs et garder une certaine sérénité d’investissement pour les managers.

Gérer les opérations de recapitalisation et le risque de dilution pour le manager

Christophe Leclerc 

C’est une problématique que nous commençons à voir émerger dans certaines situations où nous avons des besoins de recapitalisation pour assurer la pérennité et le développement des sociétés. Certes, l’entreprise peut recourir à l’emprunt, notamment avec le PGE. Mais si cette solution permet de compenser un manque ponctuel de trésorerie, elle n’est pas faite pour assurer le développement d’une entreprise. De plus, il sera difficile de demander aux banques d’accorder de la dette supplémentaire compte tenu des performances plus faibles des sociétés. Il faudra donc se tourner vers les fonds pour obtenir de la new money.

Dans leur majorité, les managers ne seront pas en position de suivre ces augmentations de capital. Ils pourraient donc être dilués de fait, et risquent de ne plus être alignés avec les intérêts du fonds dans le cas d’augmentations de capital. Un autre scénario possible est que les sponsors saisissent l’opportunité de la crise pour faire des build-up afin de profiter de prix relativement intéressants. Cela nécessiterait également l’injection de nouveaux fonds propres que les managers ne pourraient pas suivre. Il faudra réfléchir à de nouveaux instruments pour rétablir cet alignement d’intérêts entre managers et fonds.

Patrick Mousset 

Les actions gratuites sont des options auxquelles nous pensons mécaniquement. Mais cela a un coût pour le groupe. Il y a également la question de la date à laquelle les managers sont propriétaires des actions et la date de libre cessibilité (la période d’acquisition d’un an minimum, et ensuite celle de conservation également d’un an). Toutefois, cet outil est souvent utilisé, notamment en mix ou en complément avec des outils payants pour rétablir cet alignement d’intérêts.

Gabriel Flandin 

Pour revenir sur le cas des build-up évoqué par Christophe Leclerc, ce n’est peut-être pas le moment où nous avons affaire à des sujets de dilution car il devrait s’agir, en période de crise, d’acquisitions opportunistes à prix réduit. En toute hypothèse, il peut y avoir une dilution juridique des managers si le fonds réalise un apport en fonds propres (ce point étant généralement anticipé par les pactes d’actionnaires), mais on se situe a priori dans un schéma relutif ou, à tout le moins, source de croissance. De ce fait, l’impact de la dilution devrait être limité d’un point de vue économique. Le problème principal est donc l’apport de fonds propres pour compenser la perte de valeur. En effet, le PGE a rempli son rôle en palliant la chute de chiffre d’affaires et en évitant une crise de liquidité. Mais remplacer du chiffre d’affaires par de la dette impacte nécessairement la performance à moyen terme de l’entreprise. Il y aura donc un impact sur le niveau de rétrocession des packages actuels.

Nous avons par ailleurs tous été confrontés à une réduction du deal flow. Toutefois, j’ai été surpris par les quelques deals conclus pendant la crise dans des secteurs protégés comme l’éducation, ou des secteurs subventionnés en partie par l’Etat comme le médical et le paramédical. Les valorisations de ces deals ne m’ont pas paru être affectées par la crise.

Patrick Mousset 

C’est sans doute le cas sur les deals de LBO. Toutefois, sur les build-up, les mécanismes de «locked box» (prix fixe) ont quasiment disparu au profit des mécanismes de compléments de prix (earn-out).

Je n’ai pas vu d’interruption de négociations en matière de build-up car les vendeurs ont continué de penser que c’était encore, voire toujours, le moment ou jamais de céder l’activité. Sur les dossiers gérés récemment, nous avons constaté des révisions à la baisse des prix d’acquisition et le retour en force de clauses d’ajustement des prix sur un ou deux ans.

Frédéric Balochard 

Sur les aspects de valorisation, il est compliqué de tirer une quelconque conclusion, car actuellement les volumes de transaction sont très faibles. Seules les sociétés qui ont démontré qu’elles étaient totalement résilientes font l’objet d’opérations. Ce sont des entreprises très performantes, dont le secteur d’activité est peu touché par la crise et qui auraient de toute façon bénéficié de multiples relativement élevés, sachant qu’on avait constaté depuis plusieurs années cette dichotomie sur le marché, avec un écart entre les deals de premier plan – où les multiples sont très importants – et des deals moins prestigieux, valorisés sur des multiples significativement inférieurs. Il est donc trop tôt pour mesurer l’impact de la crise sur la moyenne de valorisation du marché. Nous le verrons plus nettement quand le deal flow sera revenu à des niveaux habituels.

Maîtriser le risque fiscal

Gabriel Flandin 

Le point d’attention au niveau du risque fiscal porte principalement sur la remise «dans la money» des packages qui n’y sont plus.

L’idée qu’un instrument, qui a été acquis pour 100 avec une courbe de rétrocession donnée sur des probabilités faites en début de LBO, voie sa courbe de rétrocession améliorée pour tenir compte de la crise est une remise en cause complète du travail de valorisation dont l’objet est notamment de prendre en compte le risque d’investissement. Par conséquent, modifier des instruments qui ont été valorisés initialement empêche par la suite de se prévaloir desdites valorisations.

Il est donc nécessaire de faire un travail plus complet qui peut notamment se baser sur l’octroi d’instruments simples comme les actions gratuites. Jacques-Henri Hacquin évoquait aussi des restructurations profondes qui ne sont pas seulement liées à la modification de la courbe de rétrocession mais envisagent une restructuration plus profonde des instruments.

Au-delà de l’aspect fiscal, la modification d’un management package en cours de vie d’un LBO nécessite de travailler à nouveau sur les fondamentaux et la dynamique de l’entreprise ainsi que sur les paramètres propres du LBO et de l’horizon de sortie. La difficulté peut devenir managériale et non juridique. Il peut être contre-productif de demander à des managers de réinvestir dans une société alors que les instruments qu’ils avaient souscrits ont perdu leur valeur. Tout l’enjeu est donc de trouver des formules fonctionnelles et peu onéreuses, en particulier dans les entreprises les plus affectées.

Patrick Mousset 

Nous commençons à voir des montages où les fonds d’investissement seraient prêts à céder une partie des titres à leur valeur de marché un peu abaissée, moyennant un crédit vendeur avec un taux d’intérêt valorisé par un spécialiste en la matière. Cette méthode permettrait de réaligner les intérêts, avec le danger spécifique portant sur la garantie du vendeur.

Comme évoquait Gabriel Flandin, il est nécessaire de faire attention à ne pas donner de la valeur à ce qui n’en a pas. Du point de vue de la sécurité fiscale, les actions gratuites, bien qu’entraînant un coût pour l’entreprise, présentent le plus d’intérêt. Elles sont motivantes financièrement, mais il est toujours apprécié par les investisseurs financiers de réaliser un mix de titres payants et de titres gratuits afin que les managers aient également un risque de perte capitalistique.

Etablir de nouveaux packages dans un environnement incertain

Julien Godard 

Tout d’abord, au moment de l’investissement, le management package permet parfois de gagner un deal face à d’autres fonds. En effet, une fois que le prix est fixé, le management package fait la différence. Plus l’assiette est basse, plus le management package donne un «strike bas», pour utiliser un terme optionnel. Quand les transactions vont revenir après la crise, certes il subsistera un temps une incertitude sur les valorisations, mais une fois cette incertitude levée, les management packages reprendront tout leur rôle d’élément important dans le gain des deals.

Ensuite, le management package sert à la liquidité, ce qui est pudiquement appelé l’alignement des intérêts. Si le fonds réalise une bonne affaire, il faut que le management package permette aux dirigeants de faire une très bonne affaire au moment de la cession, d’autant plus que le management a vocation à rester plus longtemps que le fonds dans l’aventure. La crise que nous connaissons, à travers l’allongement des durées de détention et la baisse des TRI et des effets de valorisation, diminue fortement les effets du package qui devront être revus. Même dans les opérations de sortie, nous sommes fréquemment amenés, en tant que fonds, à réévaluer les conditions telles qu’elles étaient prévues dans le package au moment de l’investissement.

Au-delà des croissances externes et des opérations intermédiaires, un point n’a pas été évoqué précédemment. Nous allons constater des coups d’accordéon permettant la restructuration du management package. 2020 sera une année de pertes pour certaines entreprises. Lorsque ces pertes seront intégrées, les outils de quasi-fonds propres, qui existent parfois dans les montages, peuvent être transformés en créant la restructuration du management package. C’est une manœuvre un peu technique, mais elle peut permettre de recréer cet alignement entre fonds et managers.

Enfin, plus globalement, dans ce contexte de quantitative easing, qui a pour conséquence la baisse des taux, la valorisation des actifs est boostée. Nous ferons face dans le même temps à un certain nombre d’ajustements, d’adaptations et de PSE dans les entreprises.

L’écosystème du capital-investissement est un concentrateur de richesses. Nous nous exposerons à la critique tant que le partage de la valeur n’est pas élargi au-delà du top management. Il est certes difficile de tenir ce discours dans la perspective de la dégradation de la valeur de nos investissements. Un mouvement a été initié par la création d’outils de partage de la plus-value qui ont été mis en œuvre par la loi Pacte. Il est important de poursuivre cette réflexion sur ces sujets, et pas uniquement pour acheter la paix sociale, car ces concentrations de richesses, après d’importantes interventions de l’Etat, peuvent provoquer des réactions violentes.

Gabriel Flandin 

L’évolution porte sur les aspects juridiques et financiers du marché. En matière juridique, la situation a évolué de façon permanente du fait des décisions de jurisprudence. Aujourd’hui, fiscalement, la situation est assez balisée et offre une certaine sécurité juridique. En matière de droit social, nous sommes encore dans une phase d’adaptation.

L’évolution risque également de porter sur les enjeux intrinsèques du management package afin qu’il conserve son utilité en tant qu’outil économique de croissance, avec des dynamiques de tension.

La concentration des gains potentiels pourrait être amenée à évoluer ne serait-ce que pour des questions d’image et d’engagement sociétal. En effet, comme le marché du private equity ne peut pas se limiter à des entreprises dont l’objet est en soi socialement responsable, ce sont les modalités de l’investissement qui doivent devenir socialement responsables, ne serait-ce que parce que les autres acteurs (clients, investisseurs) le demandent. Les packages pourraient donc être amenés à évoluer dans un sens d’élargissement.

A l’inverse, les crises rappellent à ceux qui l’avaient oublié le caractère risqué des packages de LBO, l’espérance de gain étant intrinsèquement liée au risque et à la volatilité élevée des instruments ratchet. Ces instruments ne sont pas adaptés à des populations larges.

Plus que jamais, cette situation montre l’utilité de réfléchir, au moins dans les LBO les plus importants, à des schémas différenciés en fonction des managers. Les structures optionnelles (BSA, actions de préférence ratchet) demeurent des techniques clés pour impliquer le top management dans son entreprise. Quand on cherche à intéresser un public plus large, les outils moins volatils tels que les actions ordinaires (gratuites ou non) semblent être un support plus adapté.

Patrick Mousset 

Certaines institutions financières sont amenées à financer partiellement les packages. La question se pose de savoir si cela pourra être encore le cas dans les mois qui viennent. Avant la crise de 2008, j’ai pu constater des financements importants sur les packages. Puis dans les trois années suivantes, nous avons eu à déplorer la disparition du marché de certaines institutions financières après la dévaluation des actifs qui ont fait l’objet du financement et dont les sûretés étaient basées sur des titres dont la valeur avait fortement chuté.

Cela risque aujourd’hui d’avoir un impact sur l’étendue des packages proposés auxquels pourront souscrire les managers.

Frédéric Balochard 

En effet, je rejoins totalement Patrick Mousset dans cette analyse.

L’allongement de la durée des deals va nécessiter la renégociation de la durée des crédits sur les management packages pour les managers qui ont emprunté et qui vont devoir faire face à des échéances, alors que les deals ne sont pas sortis. Je ne pense pas que cet aspect présente de difficultés particulières. Dans la plupart des cas, les établissements de crédit seront enclins à repousser les échéances. Ensuite, certains packages vont se retrouver complètement sous l’eau. Ce qui va créer des tensions car tout l’investissement sera perdu. Et le passif restera entre les mains du chef d’entreprise. Lorsqu’il ne s’agit que du top management, cette situation peut être encadrée ; mais lorsque les packages sont plus larges, il s’agit d’une situation plus difficile à régler.

Enfin, la question se pose, pour l’avenir, de savoir si les opérateurs financiers seront disposés à financer ce type d’opérations, et si oui, dans les mêmes proportions. La réponse n’est, dans ce cas, pas évidente. Il y a là globalement un problème de capacité de financement des banques, même s’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact sur les bilans bancaires de la crise actuelle. Il y aura forcément des conséquences, même si le marché semble aujourd’hui moins touché qu’il ne l’était il y a 10 ou 15 ans, puisque les fonds de dette, qui étaient moins présents par le passé, jouent un rôle d’amortisseur. La dette LBO n’est aujourd’hui plus uniquement intermédiée par les banques.

Les management packages impliquent souvent des financements que les managers vont chercher à titre personnel. Il est donc nécessaire que les fonds d’investissement demandent des montants raisonnables aux managers. En tant que conseils, nous devons les inciter à rester prudents sur la façon dont ils peuvent eux-mêmes leverager l’opération à titre personnel, de façon à rester dans des niveaux de financement soit nuls, soit très faibles ou, en tout état de cause, qu’ils peuvent assumer sur leur revenu personnel de façon décorrélée par rapport à la valeur du sous-jacent.

Enfin, comme exposé précédemment, je pense effectivement que nous allons voir arriver des packages avec d’une part un effet de levier très significatif mais qui vont se restreindre à une population plus étroite de top managers. D’autre part, nous assisterons sans doute à un élargissement des mécanismes du partage de la valeur. Il sera alors nécessaire de réfléchir à des schémas qui n’utiliseront pas les mêmes supports, car des dispositifs adaptés pour le top management ne le sont pas pour des populations plus larges.

Il pourrait en effet alors être envisagé d’utiliser des outils moins optionnels ou d’intégrer de l’épargne salariale et des actions gratuites, de façon à trouver un équilibre permettant d’«embarquer» une large population dans la création de valeur et dans l’esprit entrepreneurial sans faire supporter à tous des risques qui se révéleraient contre-productifs. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour notre métier de conseil dans les opérations à venir.

Christophe Leclerc 

Il ne me semble pas que la valeur des instruments des nouveaux packages qui vont être émis soit amenée à baisser. Les anciens packages, déjà mis en place, vont certes baisser en valeur ; mais les nouveaux packages qui vont être émis, et qui devront être évalués, vont plutôt avoir tendance à augmenter en proportion de l’equity totale puisque nous constatons que le risque a augmenté. Cela n’implique donc pas d’augmentation du risque fiscal, du moins du point de vue de la valeur des instruments. 

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