Par Olivia Guéguen et Anne-Laure Marcerou, avocates, associées, Dentons

Quelles spécificités pour les opérations de carve-out dans le secteur de la santé ?

Publié le 27 novembre 2020 à 12h22    Mis à jour le 30 novembre 2020 à 18h39

Les investissements et plus largement les transactions dans le secteur de la santé recouvrent des opérations très diverses. La structure et les points d’attention ne sont évidemment pas les mêmes lorsqu’un fonds de venture capital participe à un tour de table destiné à financer le développement d’une nouvelle molécule par une société de biotechnologie, lorsqu’un fonds prend une participation dans un réseau de laboratoires de biologie médicale ou lorsqu’un industriel cède à un autre l’une de ses divisions.

Dans tous les cas, néanmoins, il est indispensable de tenir compte des enjeux et contraintes spécifiques au secteur concerné lorsque l’on conduit et négocie la transaction, que cela soit au niveau de la due diligence, de la négociation des déclarations et garanties ou de la structure même du deal (en particulier dans les secteurs où la détention du capital et des droits de vote est réglementée, tels que la biologie médicale ou la radiologie par exemple).

Parmi les opérations que l’on rencontre fréquemment dans le secteur des produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, produits de biotechnologie) ou du service aux industries de santé (notamment contract manufacturing), les opérations dites de carve-out sont de plus en plus nombreuses.

Ces opérations ne concernent pas exclusivement le secteur de la santé mais elles sont fréquentes notamment dans le domaine pharmaceutique et seront sans doute amenées à se développer encore dans les prochains mois. Elles permettent en effet aux groupes industriels de se recentrer sur leurs activités «core business» et de réduire leur endettement grâce aux produits de cession ou, dans certains cas, de se séparer d’activités sous-performantes.

Alors que pendant longtemps, les acquéreurs naturels de ces activités étaient essentiellement des acteurs industriels, les fonds d’investissement hésitent de moins en moins à saisir ce type d’opportunités malgré leurs complexités réglementaires. Parmi les opérations les plus visibles, on peut citer le carve-out de l’activité skin health de Nestlé, cédée à un consortium d’investisseurs financiers (dont le fonds suédois EQT et le fonds de pension canadien PSP Investments) fin 2019 pour plus de 10 milliards de francs suisses. Sur le marché du mid-cap, les transactions se multiplient également ; ainsi, aux Etats-Unis, la cession par le groupe Hologic de son activité Cynosure au fonds Clayton, Dubilier & Rice ou, en France, la reprise de l’activité Perfusion du groupe Macopharma par la holding d’investissement Verdoso.

Quelle que soit l’industrie concernée, les opérations de carve-out sont toujours des opérations sensibles (difficultés à scinder des activités historiquement liées, aspects RH, etc.), en particulier lorsqu’elles concernent des activités en retournement. Dans le secteur des produits de santé, des questions réglementaires et commerciales complexes se font également jour et doivent être anticipées dès le début du processus puisqu’elles influencent la structure même de la transaction. Dans le secteur pharmaceutique, la séparation des activités rend le plus souvent nécessaire la création d’un nouvel établissement pharmaceutique pour accueillir les actifs transférés. Il s’agit d’un processus complexe qui va impacter toute la structure de l’opération, l’objectif étant de garantir une continuité d’exploitation dans le respect des exigences réglementaires mais également de s’assurer que l’unité transférée respecte bien les critères de l’activité économique autonome du point de vue du droit social.

Le transfert des autorisations de mise sur le marché qui permettent la commercialisation des médicaments et la prise en compte du changement d’exploitant par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) amènent également leurs  propres contraintes, et la plupart du temps, des accords spécifiques devront être négociés avec le cédant pour garantir une absence d’interruption dans l’exercice des responsabilités y afférentes. La négociation de transition services agreements spécifiques qui s’appliqueront notamment à organiser la répartition des responsabilités et la coordination entre cédant et cessionnaire pour le contrôle qualité, la pharmacovigilance, le suivi des lots etc. devient alors un point essentiel de la transaction. De même dans le contrat de cession, les questions de responsabilité et notamment l’allocation des risques en cas de produit défectueux sont également clés eu égard à la nature particulièrement sensible des produits concernés.

Enfin, il est très fréquent que ces opérations de carve-out soient assorties de contrats commerciaux à moyen/long terme destinés à assurer la pérennité ou parfois le retour à la profitabilité de l’activité cédée. Il s’agit le plus souvent de contrats de fourniture, de fabrication ou de distribution, dont l’importance est cruciale pour la continuité de l’exploitation et qui doivent être négociés en tenant compte des enjeux business et des réglementations applicables.

La clé de la réussite de ces opérations est donc de préparer dès le début des négociations la mise en œuvre pratique de la cession en prenant en compte l’impact réglementaire, les étapes pré-closing à anticiper et les accords de transition à mettre en place post-closing. L’écueil serait de déconnecter l’analyse réglementaire de la négociation de la cession : les processus sont nécessairement longs mais l’anticipation est essentielle pour éviter non seulement des délais, mais surtout des risques d’exécution de l’opération.

Dans les prochains mois, il est probable que les opérations de carve-out se succèdent rapidement dans le secteur. De nombreux groupes industriels vont se voir contraints d’accélérer leurs projets, de se séparer de leurs produits matures ou de leurs activités non-core business afin de diminuer leur endettement et de concentrer leurs efforts sur les activités plus stratégiques. Certaines cessions se feront au bénéfice d’autres acteurs stratégiques, notamment des groupes de taille moyenne cherchant à renforcer leur position sur un marché, mais également au profit d’investisseurs financiers. En effet, après avoir privilégié les secteurs moins exposés pendant un certain nombre d’années, ces derniers ont désormais démontré leur intérêt renforcé pour le secteur, y compris pour des activités pharmaceutiques constituées d’un portefeuille de médicaments matures.

Les fonds constituent désormais des équipes dédiées et/ou s’entourent de conseils spécialisés pour mener à bien ces opérations complexes jusqu’ici plutôt réservées aux acteurs stratégiques et l’appétit pour ces actifs ne devrait pas faiblir en 2021. 

Questions à...

Comment définiriez-vous la signature de votre cabinet et quelles sont les particularités de votre équipe Life Sciences ?

Dentons est aujourd’hui le premier cabinet au monde en taille et nous sommes présents dans plus de 75 pays. Notre ADN, c’est l’international mais ce sont aussi des compétences pluridisciplinaires dans des secteurs d’activité clés, dont la santé qui est depuis de nombreuses années l’un des piliers du bureau de Paris.

La richesse de notre équipe Life Sciences à Paris réside dans une longue expérience du secteur, de ses acteurs et de ses pratiques, et la capacité à mixer des compétences pointues (réglementaires, accès au marché, IP, etc.) à une capacité d’exécution sans faille des transactions, qu’il s’agisse de M&A industriel, de joint-ventures/alliances stratégiques, de LBO ou de levées de fonds par des biotechs ou medtechs.

Nous apportons à nos clients, groupes industriels, fonds d’investissement ou sociétés innovantes, le confort d’une prestation intégrée, à Paris mais aussi partout où nos clients souhaitent développer une stratégie de build-up, chercher des investisseurs, recruter des équipes, accéder au marché.


Quelles sont les évolutions notables et comment accompagnez-vous vos clients ?

Notre activité suit celle de nos clients et nous accompagnons donc naturellement les évolutions du marché. Après la consolidation de certains secteurs (cliniques, Ehpad, laboratoires d’analyse, etc.), nos clients cherchent à investir dans de nouveaux secteurs réglementés (imagerie médicale, pharmacies…) ou dans des activités externalisées par les laboratoires pharmaceutiques comme cela a été le cas pour le façonnage. Les opérations de carve-out sont d’ailleurs probablement amenées à se multiplier dans les prochains mois, les groupes industriels cherchant à se recentrer sur leurs activités stratégiques.

Aujourd’hui, le secteur est également drivé par l’innovation et la digitalisation. Bien entendu, on pense à l’innovation thérapeutique liée à la recherche mais il s’agit aussi de l’innovation fondée sur l’intelligence artificielle qui a de nombreuses applications (dans la recherche mais aussi dans la gestion des données de santé, l’aide au diagnostic et à la décision médicale, la gestion du parcours de santé…).

S’agissant des groupes industriels du secteur, laboratoires pharmaceutiques et acteurs du dispositif médical, ils multiplient désormais les investissements corporate venture dans des sociétés innovantes. Les fonds d’investissement sont de plus en plus actifs et sont désormais prêts à investir dans des secteurs plus sensibles au plan réglementaire, notamment dans des situations de carve-out. Nous intervenons alors pour fournir une prestation intégrée et mettre en lumière les points clés des analyses réglementaires/accès au marché/IP qui ont un impact sur le deal et sont à chaque fois différents. Notre plus-value tient au fait que les membres de l’équipe ont une vision à 360 degrés de l’opération et sont capables d’identifier en amont les impacts sur la transaction pour proposer des solutions.


Le marché des levées de fonds dans les biotechs et medtechs en France est très actif, les pratiques évoluent-elles ?

Les sociétés innovantes françaises (biotechs, medtechs) lèvent aujourd’hui des montants beaucoup plus importants en série B ou C auprès d’acteurs plus variés, de fonds étrangers et de structures corporate venture émanant de grands laboratoires ou acteurs du dispositif médical. Ces sociétés cherchent des financements mais aussi des partenaires qui vont contribuer à la définition de la stratégie. Elles recrutent des CEO qui viennent des big pharmas ou du dispositif médical pour préparer la sortie auprès de ce type d’acteurs.

Les aspects purement corporate nécessitent une forte technicité mais se sont standardisés. En revanche, les montants investis, la sophistication et la variété des acteurs, les attentes plus fortes des équipes de management et des fondateurs génèrent beaucoup plus de négociations et de complexités. Les frontières sont de plus en plus poreuses entre les différentes catégories d’acteurs et les différents segments de marché, mais ce qui reste clé pour nos clients, c’est notre expérience du secteur et de ses spécificités pour leur permettre de réaliser des transactions sur mesure. 

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