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Rapports Managers – Fonds, un curseur en constante évolution

Publié le 4 mai 2018 à 11h45    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h25

Dans un marché extrêmement vendeur, la concurrence autour de beaux actifs continue de faire évoluer le curseur un peu plus en faveur des managers, creusant encore l’écart entre l’écosystème français, très «managers-friendly», et celui des voisins européens.

Il est connu que le marché français du LBO est le plus mature d’Europe continentale, avec des équipes désormais rompues à l’exercice des négociations avec les fonds et habituées à être courtisées par les sponsors en recherche de beaux actifs. Cet environnement extrêmement favorable aux managers fait nécessairement évoluer la pratique, permettant, dans certaines opérations emblématiques, l’émergence de nouvelles demandes qui conduisent à modifier les équilibres traditionnels. De LBO secondaires en LBO tertiaires, les managers ont gagné en légitimité et en expertise et il n’est pas rare qu’ils se retrouvent en position de faire pencher la balance pour le sponsor de leur choix dans les processus d’enchères les plus compétitifs. Pas étonnant, dès lors, que, pour les deals les plus âprement disputés, les équipes dirigeantes puissent organiser leurs propres enchères sur les termes économiques et juridiques des management packages, ces derniers incluant notamment les clauses en matière de gouvernance, de «leavers» et de liquidité. Ces dernières clauses, autrefois prérogative absolue du sponsor majoritaire, sont, en quelque sorte, devenues la dernière carte à jouer pour séduire des managers soucieux de maîtriser le calendrier de sortie de leur actionnaire financier. Même si cela reste encore exceptionnel, certains fonds traditionnellement à forte culture majoritaire, acceptent un encadrement plus strict des conditions d’exercice de leur droit de sortie forcée afin de permettre au management de jouer un rôle actif dans le choix de leur futur partenaire et de favoriser une nouvelle sortie en LBO.

 

L’exception française

Autre signe de la bascule des rapports de force en faveur des managers, la limitation des prérogatives traditionnelles des sponsors majoritaires en termes de gouvernance. Il n’est plus rare, dans les opérations les plus disputées, en présence de fondateurs ou d’équipe de management disposant d’un fort poids capitalistique, que les conditions de révocation des dirigeants soient plus strictement encadrées. Cet encadrement est parfois exprimé au travers de conditions dites de «sous-performance» ou de règles de majorité qualifiée rendant les conditions de mise en œuvre d’une révocation moins discrétionnaires. Cette évolution du curseur en matière de gouvernance va de pair avec la tendance déjà historique du marché français en termes de management packages. Une exception tricolore qui tend à cumuler les effets «sweet equity» et «ratchet», à l’inverse des pratiques des pays voisins.

Ainsi, aussi bien au Royaume-Uni qu’en Allemagne, la structuration des management packages se fait essentiellement à base de «sweet equity» avec un «hurdle» moyen proche des 10 %. Une structuration qui offre l’avantage de la simplicité et de la lisibilité mais qui peut engendrer un désalignement d’intérêts en cas de sous-performance du LBO ou de sortie très tardive. Cette structuration est loin de prédominer dans les pratiques hexagonales où le «sweet equity» est souvent combiné à des instruments dit «ratchet» payés à leur valeur de marché. L’introduction de ces instruments, essentiellement sous forme d’actions de préférence, permet par exemple de tenir compte du multiple réalisé sur l’investissement du fonds, afin que le partage de valeur à la sortie ne dépende pas que du TRI de l’opération. Les managers qui auront souscrit les instruments relutifs pourront ainsi capter une part additionnelle du prix de cession (ou supporter une perte plus importante), en fonction du risque capitalistique supplémentaire qu’ils auront pris en souscrivant les titres «ratchet». De ce point de vue, les management packages à la française peuvent donc comporter un «upside» et une part de risques plus importants, tout en permettant des profils de risques adaptés à chaque cercle de l’équipe de management. Cette prise de risque proportionnée, de même que l’importance des sommes investies, demeurent des conditions sine qua non de non-requalification par l’administration fiscale.

En sus du risque capitalistique inhérent aux conditions d’investissement des managers dans les instruments de management packages, un risque supplémentaire s’est récemment invité dans l’écosystème du «private equity», à savoir l’insécurité juridique induite par la position récente des Urssaf et sa grille de lecture pour le moins déconcertante. La décision rendue en juillet dernier par la cour d’appel de Paris, de soumettre à cotisations sociales les plus-values des dirigeants de Lucien Barrière lors du débouclage de leur LBO en 2009, fait peser une nouvelle épée de Damoclès sur les management packages. Cette menace de requalification est fondée sur la qualité de salarié des dirigeants, occultant ainsi leur véritable statut d’investisseur dans le LBO, et prenant notamment appui sur le mécanisme des clauses de «leaver» pour établir ce lien jugé constitutif entre le contrat de travail et les gains réalisés par les managers. En attendant que l’administration sociale se mette au diapason sur le véritable risque capitalistique pris par les managers de LBO, la pratique tend à essayer de neutraliser les différences de traitement entre les clauses de «good leaver» et de «bad leaver» afin de rompre ce lien établi mécaniquement par les juges. La Cour de cassation est saisie de cette prise de position des Urssaf et viendra, espérons-le, restaurer une sécurité et lisibilité juridique nécessaire à la préservation de l’alignement d’intérêts entre managers et fonds, qui constitue un socle incontestable de la réussite des «success stories» du LBO français.

Questions à… Jérôme Jouhanneaud, associé de Goodwin Procter LLP

Comment définirez-vous la signature de votre cabinet ?

Créé en 1912 à Boston, Goodwin est un cabinet d’avocats d’affaires composé de plus de 1 000 avocats répartis au sein de 10 bureaux aux Etats-Unis (Boston, Los Angeles, New York, San Francisco, Silicon Valley, Washington DC), en Europe (Francfort, Londres, Paris) et en Asie (Hong Kong). Goodwin fait partie du «top 50» des cabinets à l’échelle internationale, en termes de chiffre d’affaires. Depuis juillet 2016, Goodwin est implanté en France. Le bureau de Paris s’appuie sur l’expertise et le savoir-faire d’équipes reconnues comme leaders sur le marché du «private equity» et du M&A. Du mid au large cap, les 45 avocats du cabinet (dont 11 associés) interviennent aux côtés de leurs clients – industriels, institutions financières et dirigeants – en matière de fusions-acquisitions, «private equity», financement, fiscalité ainsi qu’en structuration et création de fonds, avec comme secteurs de prédilection la finance, les sciences de la vie, le capital investissement, l’immobilier et les technologies.

Depuis que nous avons créé le bureau français de Goodwin, il y a bientôt deux ans, nous avons retrouvé cette agilité et profondeur de marché propres aux cabinets mid cap, qui constituent l’ADN de l’équipe. Dans le même temps, le très fort ancrage de Goodwin à la fois aux Etats-Unis, son marché d’origine, et au Royaume-Uni, où il dispose déjà de 60 avocats, nous permet de poursuivre et d’accélérer notre montée en gamme sur le transactionnel. Nous avons pu immédiatement déployer de réelles synergies avec les équipes américaines sur des deals cross-border, comme le rachat en 2016 de Key Plastics par Mecaplast (devenu Novares) contrôlé par Equistone ou la levée de fonds de l’éditeur franco-américain Ivalua auprès de KKR en 2017.

L’expertise pointue de l’équipe américaine de Goodwin dans la tech et les life sciences nous permet d’accroître notre légitimité sur ces segments porteurs, axes de développement majeur du bureau parisien.

Comment accompagnez-vous vos clients ?

Notre vision globale aiguisée par la pratique des deals cross-border et notre pluridisciplinarité nous permettent d’accompagner nos clients sur toutes les problématiques de leurs deals, aussi bien au niveau fiscal que corporate ou de financement. Nous avons par exemple récemment conseillé le management d’Exclusive Networks dans son troisième LBO avec Permira, accompagné le consortium Compagnie Marco Polo, Apax Partners et Bpifrance dans le LBO primaire d’Eric Bompard, et conseillé Cerba Healthcare dans le rachat de Bio7 ou encore la medtech Surgivisio dans sa levée de fonds de 10,7 millions d’euros.

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