Management package

Renégociation, élargissement, RSE... La nouvelle donne des management packages

Publié le 11 juin 2021 à 12h53

Propos recueillis par Sahra Saoudi, Ekaterina Dvinina et Gilles Lambert

Malgré la crise sanitaire, le marché du private equity semble bénéficier d’un fort dynamisme avec un niveau important d’opérations et des valorisations toujours élevées. Mais cette période d’incertitudes peut toutefois peser dans les négocations relatives à la mise en place de management packages, voire conduire à des renégociations. Sept experts dressent un état des lieux du marché et les conséquences du contexte incertain sur les management packages. Ils pointent également les nouvelles problématiques qui émergent dans le cadre des négociations entre actionnaires et dirigeants concernant le respect de la compliance et de la RSE, ainsi que sur la question de l’élargissement du cercle des bénéficiaires des management packages dans les entreprises.

Etat des lieux du marché malgré la crise de la Covid-19

Guillaume Eymar, associé, Cambon Partners : Je m’occupe des opérations dans les services financiers, plus précisément dans l’assurance, l’asset management et les CGP (conseillers en gestion de patrimoine). J’ai un regard sans doute un peu biaisé car les secteurs que je couvre ne sont pas touchés par la crise, avec une récurrence élevée et beaucoup de résilience. C’est un segment d’autant plus attrayant qu’il y a de plus en plus d’incertitude dans d’autres secteurs. On voit de plus en plus de fonds manifester de l’intérêt pour les services financiers. Et qui dit appétit pour les services financiers, dit appétence à payer des valorisations élevées et générosité en matière de management packages. Nous vivons dans ce secteur une période propice aux LBO, tant pour les actionnaires que pour les managers.

Patrick Mousset, associé, Gowling : Nous avons cru il y a un an et demi qu’il y aurait un certain nombre de défaillances d’entreprises, notamment celles sous LBO. Grâce aux aides gouvernementales, telles que le prêt garanti par l’Etat (PGE) et le chômage partiel, il y a eu peu de défauts. Ceux-ci vont probablement débuter à la rentrée prochaine, avec un risque d’accentuation des problématiques une fois les aides épuisées. Certains secteurs sont résilients, comme la tech, l’éducation ou encore la santé et le médical. Mais d’autres actifs et activités sont dans une situation plus problématique. Ils donneront lieu à d’éventuelles discussions et renégociations. L’impact sur le management package commence à être pressenti. Pour l’instant, nous sommes en période de stand-by. Nous remarquons également deux grandes catégories de fonds lors des opérations dans lesquelles notre cabinet intervient auprès du management : des fonds qui sont plutôt « tout feu tout flamme », très présents sur un nombre important d’opérations, et ceux, plus attentifs, qui redoutent l’émergence d’une bulle. Au lieu de 12-14 fois, les multiples peuvent maintenant dépasser les 20-22 fois l’Ebitda. Certains gérants commencent à faire part de leur inquiétude concernant cette envolée des multiples, conjuguée à une dette peu chère et à une profusion d’offre de financement en provenance également de fonds de dette privée, solution alternative et complémentaire à la dette bancaire, qui poursuivent leur progression sur le marché français.

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Guillaume Eymar : Certains s’en inquiètent, pour autant, nous n’avons jamais eu une telle quantité d’offres qu’actuellement. Donc faute de dossiers, et malgré l’inquiétude, il y a quand même une forte dynamique.

Patrick Mousset : Vous avez sans doute remarqué aussi, depuis un ou deux ans, un accroissement du nombre des acteurs, via la création de fonds et de spin-off, et une forte progression des capitaux levés qui démontre une attractivité résiliente, même en période Covid. Nous avons aussi observé l’arrivée de fonds de capital-investissement, notamment nord-américains, qui n’investissaient pas jusqu’à présent directement sur le marché français et étaient inconnus des managers. Du fait de la Covid et de la difficulté à rencontrer en personne les managers, il n’y a plus cette « barrière à l’entrée » contrairement à il y a deux ans. Cela accroît la concurrence, joue sur les multiples et sur les management packages. Ces nouveaux acteurs, parfois précédemment uniquement LPs (limited partners), ne sont par contre pas nécessairement plus généreux, mais sont en tout cas plus « sympathiques » et au fait des spécificités de notre marché qu’il y a deux ans.

Claire Revol-Rénié, associée, Scotto & Associés : Il y a en effet une très belle dynamique au sein du marché du private equity, avec beaucoup d’appétit pour les cibles qui ont peu souffert de la crise, voire pour celles qui en ont profité en capturant de nouveaux marchés. Nous constatons une multiplication d’acteurs dans les processus d’enchères, mais aussi une hausse des offres préemptives associées souvent à une accélération des processus. Des LBO primaires de (très) grande taille se préparent également et leur nombre semble être en augmentation nette. D’autre part, il y a une série de LBO en difficulté, avec des restructurations qui se profilent ou bien des cibles plus compliquées à vendre dont les processus ont du mal à démarrer. Mais je rejoins ce qui a été dit sur le restructuring. Il était attendu une vague de défaillances d’entreprises qui n’a pas vraiment eu lieu.

Grégory de Saxcé, associé, Willkie Farr & Gallagher : Je pense qu’il faut rendre à César ce qui est à César. Il y a beaucoup de fonds qui ont joué un rôle très important pendant cette crise et qui ont notamment aidé leurs sociétés de portefeuille à renégocier leurs dettes. Cela a aussi permis d’éviter la crise dans certaines sociétés. En ce qui concerne les management packages, il me semble que nous étions déjà dans un marché très « managers-friendly ». La polarisation du marché, une concentration sur les actifs résilients et cette concurrence accrue sur ces dossiers vont renforcer davantage le pouvoir des managers, qui ont par ailleurs été très sollicités durant toute cette crise.

Jean-Luc Izoard, CFO, Ellisphère : Je vais m’exprimer du point de vue des managers : je représente la société Arthemis, la maison mère d’Ellisphère qui est sous LBO. Nous avons également le sentiment que le marché actuel est relativement favorable aux dirigeants managers. La crise sanitaire a finalement eu un impact très faible sur les multiples. Elle n’est pas comparable à ce que nous avons pu connaître lors des précédentes crises financières qui ont eu des conséquences très profondes et durables. L’endettement est très peu coûteux et devrait le rester, faute de quoi certains Etats pourraient se trouver en difficulté. De même, nous constatons une accélération des sorties de fonds d’investissement, ce que nous avons expérimenté lors de notre précédent LBO. Malgré tout, cette crise a mis tout le monde dans une situation très complexe. Nous ne pouvions pas savoir si une entreprise serait résiliente ou pas, avant de le vivre réellement. La situation a surtout eu pour effet d’exacerber l’écart entre les entreprises qui résistent bien et celles qui vont être très largement impactées.

Guillaume Eymar : Il y a toujours énormément de liquidités sur le marché. On sent que l’un des enjeux pour les fonds d’investissement en ce moment est de déployer cet argent dans des actifs de qualité en limitant les risques, quitte à « écraser » les TRI (taux de rentabilité interne). Des actifs de mauvaise qualité ne se vendent pas plus vite ni plus cher qu’avant. En revanche, pour les actifs de qualité, les investisseurs financiers peuvent être plus souples concernant les valorisations. Cette tendance de fond devrait durer car les montants levés mettront encore quelques années à être déployés.

Stéphane de Lassus, associé, Charles Russell Speechlys : Et surtout, il y a des nouveaux intervenants, des gens « qui ont faim ». Ces derniers vont devoir investir pour se construire un track record. Parmi ces nouveaux intervenants sur le marché, il y a des fonds étrangers récemment arrivés en France et des spin-off dans le venture, le capital-risque ou le large cap. C’est d’ailleurs une nouveauté, des acteurs qui arrivent à monter des fonds à grosses capitalisations. Une des manières de se différencier pour ces fonds est de jouer la carte de la proximité avec le management.

Guillaume Eymar : Des fonds sont de plus en plus spécialisés sur chacun des secteurs – nous constatons cette tendance sur le marché coté depuis déjà plusieurs années. Ils raisonnent par classe d’actif. Par exemple : « Je vais investir sur les actions cotées européennes, small caps, gestion value, etc. » Ils reproduisent cette stratégie sur le private equity. Plutôt qu’un fonds généraliste, ils vont privilégier des stratégies spécifiques d’investissement pour le private equity (géographie, taille, industrie, croissance, etc.). Exactement comme ils avaient l’habitude de faire sur le marché coté.

Patrick Mousset : Un autre sujet que la crise de la Covid a mis en avant, ce sont les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Aux côtés des tentatives de greenwashing, il existe bien de véritables démarches ESG qui touchent plus ou moins toutes les classes d’actifs du private equity. Par ailleurs, certaines grandes maisons ont décidé de créer des département small caps, growth et venture, alors qu’elles se refusaient à le faire jusqu’à présent. Pour les entreprises résilientes, du venture au large cap, les portes sont grandes ouvertes. En rebondissant sur ce que disait Claire Revol-Rénié concernant les offres préemptives, j’ai remarqué à plusieurs reprises que le management préfère souvent s’assurer de la justesse du prix en faisant appel à une banque d’affaires et en mettant en place un process classique, quitte à ce que cela ait un coût. Parce que les prix montent très vite.

Claire Revol-Rénié : Tout à fait. Sur le management package, il y a deux situations différentes pour les managers, mais qui peuvent se recouper. Dans un process d’enchères rapide et concurrentiel, nous sommes à la fois dans un phénomène de hausse des multiples de dette et de hausse des prix. Pour maintenir un TRI cible tout en augmentant le prix d’acquisition, les acquéreurs auront tendance à augmenter la dette qui sera la variable d’ajustement. Même si elle reste peu chère, les leviers de dette peuvent monter très haut, ce qui peut être compliqué pour le management. Donc l’enjeu est double pour le management : cantonner les prix à la hausse tout en restant loyal à son actionnaire et négocier au mieux ses intérêts et les intérêts de son groupe dans le cadre de la prochaine opération. Il y a donc d’un côté cette crainte pour le management que le prix ne s’envole dans un process rapide, parce qu’il y a de la concurrence entre les acheteurs, tout en disant : « Mon business plan est celui sur lequel je m’engage et malheureusement, si je pars d’un prix plus haut, le TRI cible va être plus difficile à atteindre et par ailleurs les risques pour le groupe sont d’autant plus élevés si la dette est augmentée. » D’un autre côté, comme cela a été dit, certains acteurs vont jouer la carte du management en amont, et à raison. Ils vont agréer un management package en amont avec l’équipe de management. Cela permet plus facilement au management qui ne souhaite pas que le prix s’envole – parce que c’est au détriment de tous les acteurs finalement, et surtout du groupe – de pouvoir dire : « Stop, j’ai fait mon choix, c’est un bon prix, je n’investirai pas au-delà car j’estime cela déraisonnable. » C’est une vraie ligne de crête qui n’est pas facile à tenir.

Guillaume Eymar : Pour compléter ce propos, il y a des vases communicants sur le troisième levier qui est justement le management package. La capacité à offrir un package généreux est aussi liée au niveau de valorisation de l’opération. Cela dépend de la philosophie du fonds qui est déjà au capital. Est-ce qu’il va laisser de la place dans la négociation aux managers pour renégocier ? Est-ce que le management est de qualité suffisante, et à quel point est-il indispensable pour avoir un levier de négociation ? Est-ce que le manager est déjà actionnaire et à quelle hauteur le cas échéant ? En fonction de ces trois critères, on va avoir des enjeux de vases communicants. Le fonds doit-il privilégier les demandes des actionnaires en termes de valorisation pour remporter un dossier ? Suis-je obligé de négocier le package en même temps ou au contraire de le traiter dans un second temps ? C’est du cas par cas, en fonction du poids du management dans l’opération.

Claire Revol-Rénié : C’est très juste. Nous avons suivi récemment certains processus avec des offres préemptives, à des prix très élevés, dans lesquels le fonds ayant réussi à obtenir l’exclusivité a proposé au management un management package un peu, voire assez, décoté par rapport à nos benchmarks. Les offres préemptives ne sont pas systématiquement très en faveur du management. A la fin, la variable d’ajustement, ce peut être aussi le management package. Mais ce qui compte c’est l’équilibre, si l’offre préemptive a été initiée pour éviter l’acquisition par un stratégique non souhaité par le management, cela reste in fine tout à fait en faveur du management.

Guillaume Eymar : Encore plus sur les situations préemptives, c’est vrai. Dans un process classique, nous avons le temps d’aller au bout des négociations sur le prix. Et une fois que les intérêts de tout le monde ont été alignés, nous allons discuter du package et obtenir le meilleur possible. Dans une situation préemptive, tout va se jouer autour du prix et en second lieu du package. Donc, l’enjeu est de garder sur le même niveau de négociation le package et le prix, ce qui n’est pas facile dans une situation préemptive. Cela arrive de plus en plus souvent. Les trois gros process que j’ai menés en début d’année, le LBO de Cafpi avec BlackFin Capital Partners, celui de Groupe Premium avec Eurazeo et la cession d’Active Assurances à Meilleurtaux, ont été préemptés.

Patrick Mousset : On remarque que plus le prix est élevé, et ce n’est pas toujours corrélé, plus il est requis que le management réinvestisse en plus grande proportion. Mais si on veut aller de l’avant, il y a parfois des trades, une baisse de rendement à obtenir sur le prochain deal contre une sortie à un prix élevé. Vous pouvez aussi vous trouver dans une situation où la syndication de l’equity est importante avec une exposition inférieure de l’investisseur majoritaire. Les économies et les équilibres changent, et les structurations se complexifient.

Guillaume Eymar : Les fonds sont beaucoup plus tolérants sur les niveaux de cash-out réalisable par le management. Nous le constatons sur les dernières opérations. Historiquement, on demandait au management de réinvestir à la hauteur de 50 % à 60 %. En fonction des situations, les fonds sont capables de faire des concessions sur ce point.

Jean-Luc Izoard : Vous dites que les fonds sont aujourd’hui plus réceptifs à l’idée d’un réinvestissement des managers plus faible que par le passé. Pour notre part, nous avons réinvesti significativement lors de notre dernière opération. Pour le management qui souhaite réinvestir, c’est aussi une occasion de rétablir un certain nombre d’équilibres. Plus le management sera investi de façon significative, moins le management package sera une variable d’ajustement. En tout cas, il sera investi comme n’importe quel autre actionnaire. Par son réinvestissement, il peut contribuer au rééquilibrage global de la relation fonds-managers.

Claire Revol-Rénié : Nous avons parlé des processus de cession et des impacts de la crise sur la dynamique actuelle du marché. Il y a tout un autre pan qui a été évoqué au début : comment cela se passe-t-il en cas de crise au sein des LBO en cours qui ne sont pas encore arrivés à maturité pour sortir ? Sur ce point, je trouve que les fonds jouent actuellement pleinement leur rôle d’actionnaire. Nous avons observé un nombre substantiel d’opérations de recapitalisation pour passer la crise ainsi qu’un soutien et une grande solidarité de la part des fonds avec le management. Nous notons également une tendance et une volonté systématique de réalignement des intérêts entre managers et fonds actionnaire à la suite des impacts de la crise sur les management packages. Nous avons ainsi expérimenté la création des « clauses Covid » insérées dans des avenants aux « promesses leavers » en cas de départ de certains managers, voire appliquées à tous pour un effet psychologique bénéfique, permettant une suspension temporaire de l’application de la formule de valorisation tant que l’impact de la crise se fait sentir sur les comptes du groupe. En effet, un management stressé qui a virtuellement « tout perdu » parce qu’il y a une chute exogène et ponctuelle de l’Ebitda fait que tout départ du groupe est rendu impossible voire très compliqué du fait des formules de valorisations des accords contractuels de rachat de titres. Or, le turn-over au sein des groupes sous LBO est normal d’autant plus lorsque les managers au capital sont nombreux. Et si ce départ entraîne le fait que le management perde sa mise, en particulier s’il a investi en sweet equity, ce n’est pas l’idée première. Donc, nous avons assisté nombre de nos clients dans la mise en place soit d’avenants aux formules de valorisation permettant de différer l’application des formules ou de les modifier, soit de suspensions d’exercice de « promesses leaver » lors de départs ne pouvant être différés.Etat des lieux du marché malgré la crise de la Covid-19

Guillaume Eymar, associé, Cambon Partners : Je m’occupe des opérations dans les services financiers, plus précisément dans l’assurance, l’asset management et les CGP (conseillers en gestion de patrimoine). J’ai un regard sans doute un peu biaisé car les secteurs que je couvre ne sont pas touchés par la crise, avec une récurrence élevée et beaucoup de résilience. C’est un segment d’autant plus attrayant qu’il y a de plus en plus d’incertitude dans d’autres secteurs. On voit de plus en plus de fonds manifester de l’intérêt pour les services financiers. Et qui dit appétit pour les services financiers, dit appétence à payer des valorisations élevées et générosité en matière de management packages. Nous vivons dans ce secteur une période propice aux LBO, tant pour les actionnaires que pour les managers.

Patrick Mousset, associé, Gowling : Nous avons cru il y a un an et demi qu’il y aurait un certain nombre de défaillances d’entreprises, notamment celles sous LBO. Grâce aux aides gouvernementales, telles que le prêt garanti par l’Etat (PGE) et le chômage partiel, il y a eu peu de défauts. Ceux-ci vont probablement débuter à la rentrée prochaine, avec un risque d’accentuation des problématiques une fois les aides épuisées. Certains secteurs sont résilients, comme la tech, l’éducation ou encore la santé et le médical. Mais d’autres actifs et activités sont dans une situation plus problématique. Ils donneront lieu à d’éventuelles discussions et renégociations. L’impact sur le management package commence à être pressenti. Pour l’instant, nous sommes en période de stand-by. Nous remarquons également deux grandes catégories de fonds lors des opérations dans lesquelles notre cabinet intervient auprès du management : des fonds qui sont plutôt « tout feu tout flamme », très présents sur un nombre important d’opérations, et ceux, plus attentifs, qui redoutent l’émergence d’une bulle. Au lieu de 12-14 fois, les multiples peuvent maintenant dépasser les 20-22 fois l’Ebitda. Certains gérants commencent à faire part de leur inquiétude concernant cette envolée des multiples, conjuguée à une dette peu chère et à une profusion d’offre de financement en provenance également de fonds de dette privée, solution alternative et complémentaire à la dette bancaire, qui poursuivent leur progression sur le marché français.

Guillaume Eymar : Certains s’en inquiètent, pour autant, nous n’avons jamais eu une telle quantité d’offres qu’actuellement. Donc faute de dossiers, et malgré l’inquiétude, il y a quand même une forte dynamique.

Patrick Mousset : Vous avez sans doute remarqué aussi, depuis un ou deux ans, un accroissement du nombre des acteurs, via la création de fonds et de spin-off, et une forte progression des capitaux levés qui démontre une attractivité résiliente, même en période Covid. Nous avons aussi observé l’arrivée de fonds de capital-investissement, notamment nord-américains, qui n’investissaient pas jusqu’à présent directement sur le marché français et étaient inconnus des managers. Du fait de la Covid et de la difficulté à rencontrer en personne les managers, il n’y a plus cette « barrière à l’entrée » contrairement à il y a deux ans. Cela accroît la concurrence, joue sur les multiples et sur les management packages. Ces nouveaux acteurs, parfois précédemment uniquement LPs (limited partners), ne sont par contre pas nécessairement plus généreux, mais sont en tout cas plus « sympathiques » et au fait des spécificités de notre marché qu’il y a deux ans.

Claire Revol-Rénié, associée, Scotto & Associés : Il y a en effet une très belle dynamique au sein du marché du private equity, avec beaucoup d’appétit pour les cibles qui ont peu souffert de la crise, voire pour celles qui en ont profité en capturant de nouveaux marchés. Nous constatons une multiplication d’acteurs dans les processus d’enchères, mais aussi une hausse des offres préemptives associées souvent à une accélération des processus. Des LBO primaires de (très) grande taille se préparent également et leur nombre semble être en augmentation nette. D’autre part, il y a une série de LBO en difficulté, avec des restructurations qui se profilent ou bien des cibles plus compliquées à vendre dont les processus ont du mal à démarrer. Mais je rejoins ce qui a été dit sur le restructuring. Il était attendu une vague de défaillances d’entreprises qui n’a pas vraiment eu lieu.

Grégory de Saxcé, associé, Willkie Farr & Gallagher : Je pense qu’il faut rendre à César ce qui est à César. Il y a beaucoup de fonds qui ont joué un rôle très important pendant cette crise et qui ont notamment aidé leurs sociétés de portefeuille à renégocier leurs dettes. Cela a aussi permis d’éviter la crise dans certaines sociétés. En ce qui concerne les management packages, il me semble que nous étions déjà dans un marché très « managers-friendly ». La polarisation du marché, une concentration sur les actifs résilients et cette concurrence accrue sur ces dossiers vont renforcer davantage le pouvoir des managers, qui ont par ailleurs été très sollicités durant toute cette crise.

Jean-Luc Izoard, CFO, Ellisphère : Je vais m’exprimer du point de vue des managers : je représente la société Arthemis, la maison mère d’Ellisphère qui est sous LBO. Nous avons également le sentiment que le marché actuel est relativement favorable aux dirigeants managers. La crise sanitaire a finalement eu un impact très faible sur les multiples. Elle n’est pas comparable à ce que nous avons pu connaître lors des précédentes crises financières qui ont eu des conséquences très profondes et durables. L’endettement est très peu coûteux et devrait le rester, faute de quoi certains Etats pourraient se trouver en difficulté. De même, nous constatons une accélération des sorties de fonds d’investissement, ce que nous avons expérimenté lors de notre précédent LBO. Malgré tout, cette crise a mis tout le monde dans une situation très complexe. Nous ne pouvions pas savoir si une entreprise serait résiliente ou pas, avant de le vivre réellement. La situation a surtout eu pour effet d’exacerber l’écart entre les entreprises qui résistent bien et celles qui vont être très largement impactées.

Guillaume Eymar : Il y a toujours énormément de liquidités sur le marché. On sent que l’un des enjeux pour les fonds d’investissement en ce moment est de déployer cet argent dans des actifs de qualité en limitant les risques, quitte à « écraser » les TRI (taux de rentabilité interne). Des actifs de mauvaise qualité ne se vendent pas plus vite ni plus cher qu’avant. En revanche, pour les actifs de qualité, les investisseurs financiers peuvent être plus souples concernant les valorisations. Cette tendance de fond devrait durer car les montants levés mettront encore quelques années à être déployés.

Stéphane de Lassus, associé, Charles Russell Speechlys : Et surtout, il y a des nouveaux intervenants, des gens « qui ont faim ». Ces derniers vont devoir investir pour se construire un track record. Parmi ces nouveaux intervenants sur le marché, il y a des fonds étrangers récemment arrivés en France et des spin-off dans le venture, le capital-risque ou le large cap. C’est d’ailleurs une nouveauté, des acteurs qui arrivent à monter des fonds à grosses capitalisations. Une des manières de se différencier pour ces fonds est de jouer la carte de la proximité avec le management.

Guillaume Eymar : Des fonds sont de plus en plus spécialisés sur chacun des secteurs – nous constatons cette tendance sur le marché coté depuis déjà plusieurs années. Ils raisonnent par classe d’actif. Par exemple : « Je vais investir sur les actions cotées européennes, small caps, gestion value, etc. » Ils reproduisent cette stratégie sur le private equity. Plutôt qu’un fonds généraliste, ils vont privilégier des stratégies spécifiques d’investissement pour le private equity (géographie, taille, industrie, croissance, etc.). Exactement comme ils avaient l’habitude de faire sur le marché coté.

Patrick Mousset : Un autre sujet que la crise de la Covid a mis en avant, ce sont les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Aux côtés des tentatives de greenwashing, il existe bien de véritables démarches ESG qui touchent plus ou moins toutes les classes d’actifs du private equity. Par ailleurs, certaines grandes maisons ont décidé de créer des département small caps, growth et venture, alors qu’elles se refusaient à le faire jusqu’à présent. Pour les entreprises résilientes, du venture au large cap, les portes sont grandes ouvertes. En rebondissant sur ce que disait Claire Revol-Rénié concernant les offres préemptives, j’ai remarqué à plusieurs reprises que le management préfère souvent s’assurer de la justesse du prix en faisant appel à une banque d’affaires et en mettant en place un process classique, quitte à ce que cela ait un coût. Parce que les prix montent très vite.

Claire Revol-Rénié : Tout à fait. Sur le management package, il y a deux situations différentes pour les managers, mais qui peuvent se recouper. Dans un process d’enchères rapide et concurrentiel, nous sommes à la fois dans un phénomène de hausse des multiples de dette et de hausse des prix. Pour maintenir un TRI cible tout en augmentant le prix d’acquisition, les acquéreurs auront tendance à augmenter la dette qui sera la variable d’ajustement. Même si elle reste peu chère, les leviers de dette peuvent monter très haut, ce qui peut être compliqué pour le management. Donc l’enjeu est double pour le management : cantonner les prix à la hausse tout en restant loyal à son actionnaire et négocier au mieux ses intérêts et les intérêts de son groupe dans le cadre de la prochaine opération. Il y a donc d’un côté cette crainte pour le management que le prix ne s’envole dans un process rapide, parce qu’il y a de la concurrence entre les acheteurs, tout en disant : « Mon business plan est celui sur lequel je m’engage et malheureusement, si je pars d’un prix plus haut, le TRI cible va être plus difficile à atteindre et par ailleurs les risques pour le groupe sont d’autant plus élevés si la dette est augmentée. » D’un autre côté, comme cela a été dit, certains acteurs vont jouer la carte du management en amont, et à raison. Ils vont agréer un management package en amont avec l’équipe de management. Cela permet plus facilement au management qui ne souhaite pas que le prix s’envole – parce que c’est au détriment de tous les acteurs finalement, et surtout du groupe – de pouvoir dire : « Stop, j’ai fait mon choix, c’est un bon prix, je n’investirai pas au-delà car j’estime cela déraisonnable. » C’est une vraie ligne de crête qui n’est pas facile à tenir.

Guillaume Eymar : Pour compléter ce propos, il y a des vases communicants sur le troisième levier qui est justement le management package. La capacité à offrir un package généreux est aussi liée au niveau de valorisation de l’opération. Cela dépend de la philosophie du fonds qui est déjà au capital. Est-ce qu’il va laisser de la place dans la négociation aux managers pour renégocier ? Est-ce que le management est de qualité suffisante, et à quel point est-il indispensable pour avoir un levier de négociation ? Est-ce que le manager est déjà actionnaire et à quelle hauteur le cas échéant ? En fonction de ces trois critères, on va avoir des enjeux de vases communicants. Le fonds doit-il privilégier les demandes des actionnaires en termes de valorisation pour remporter un dossier ? Suis-je obligé de négocier le package en même temps ou au contraire de le traiter dans un second temps ? C’est du cas par cas, en fonction du poids du management dans l’opération.

Claire Revol-Rénié : C’est très juste. Nous avons suivi récemment certains processus avec des offres préemptives, à des prix très élevés, dans lesquels le fonds ayant réussi à obtenir l’exclusivité a proposé au management un management package un peu, voire assez, décoté par rapport à nos benchmarks. Les offres préemptives ne sont pas systématiquement très en faveur du management. A la fin, la variable d’ajustement, ce peut être aussi le management package. Mais ce qui compte c’est l’équilibre, si l’offre préemptive a été initiée pour éviter l’acquisition par un stratégique non souhaité par le management, cela reste in fine tout à fait en faveur du management.

Guillaume Eymar : Encore plus sur les situations préemptives, c’est vrai. Dans un process classique, nous avons le temps d’aller au bout des négociations sur le prix. Et une fois que les intérêts de tout le monde ont été alignés, nous allons discuter du package et obtenir le meilleur possible. Dans une situation préemptive, tout va se jouer autour du prix et en second lieu du package. Donc, l’enjeu est de garder sur le même niveau de négociation le package et le prix, ce qui n’est pas facile dans une situation préemptive. Cela arrive de plus en plus souvent. Les trois gros process que j’ai menés en début d’année, le LBO de Cafpi avec BlackFin Capital Partners, celui de Groupe Premium avec Eurazeo et la cession d’Active Assurances à Meilleurtaux, ont été préemptés.

Patrick Mousset : On remarque que plus le prix est élevé, et ce n’est pas toujours corrélé, plus il est requis que le management réinvestisse en plus grande proportion. Mais si on veut aller de l’avant, il y a parfois des trades, une baisse de rendement à obtenir sur le prochain deal contre une sortie à un prix élevé. Vous pouvez aussi vous trouver dans une situation où la syndication de l’equity est importante avec une exposition inférieure de l’investisseur majoritaire. Les économies et les équilibres changent, et les structurations se complexifient.

Guillaume Eymar : Les fonds sont beaucoup plus tolérants sur les niveaux de cash-out réalisable par le management. Nous le constatons sur les dernières opérations. Historiquement, on demandait au management de réinvestir à la hauteur de 50 % à 60 %. En fonction des situations, les fonds sont capables de faire des concessions sur ce point.

Jean-Luc Izoard : Vous dites que les fonds sont aujourd’hui plus réceptifs à l’idée d’un réinvestissement des managers plus faible que par le passé. Pour notre part, nous avons réinvesti significativement lors de notre dernière opération. Pour le management qui souhaite réinvestir, c’est aussi une occasion de rétablir un certain nombre d’équilibres. Plus le management sera investi de façon significative, moins le management package sera une variable d’ajustement. En tout cas, il sera investi comme n’importe quel autre actionnaire. Par son réinvestissement, il peut contribuer au rééquilibrage global de la relation fonds-managers.

Claire Revol-Rénié : Nous avons parlé des processus de cession et des impacts de la crise sur la dynamique actuelle du marché. Il y a tout un autre pan qui a été évoqué au début : comment cela se passe-t-il en cas de crise au sein des LBO en cours qui ne sont pas encore arrivés à maturité pour sortir ? Sur ce point, je trouve que les fonds jouent actuellement pleinement leur rôle d’actionnaire. Nous avons observé un nombre substantiel d’opérations de recapitalisation pour passer la crise ainsi qu’un soutien et une grande solidarité de la part des fonds avec le management. Nous notons également une tendance et une volonté systématique de réalignement des intérêts entre managers et fonds actionnaire à la suite des impacts de la crise sur les management packages. Nous avons ainsi expérimenté la création des « clauses Covid » insérées dans des avenants aux « promesses leavers » en cas de départ de certains managers, voire appliquées à tous pour un effet psychologique bénéfique, permettant une suspension temporaire de l’application de la formule de valorisation tant que l’impact de la crise se fait sentir sur les comptes du groupe. En effet, un management stressé qui a virtuellement « tout perdu » parce qu’il y a une chute exogène et ponctuelle de l’Ebitda fait que tout départ du groupe est rendu impossible voire très compliqué du fait des formules de valorisations des accords contractuels de rachat de titres. Or, le turn-over au sein des groupes sous LBO est normal d’autant plus lorsque les managers au capital sont nombreux. Et si ce départ entraîne le fait que le management perde sa mise, en particulier s’il a investi en sweet equity, ce n’est pas l’idée première. Donc, nous avons assisté nombre de nos clients dans la mise en place soit d’avenants aux formules de valorisation permettant de différer l’application des formules ou de les modifier, soit de suspensions d’exercice de « promesses leaver » lors de départs ne pouvant être différés.

Une augmentation importante des renégociations de management package dans ce contexte ?

Stéphane de Lassus : J’ai eu deux cas assez compliqués de renégociations l’année dernière. Un petit LBO où les relations se sont tendues entre le management hyper-stressé par le montant de la dette et le fonds qui l’était aussi. Quand les managers ont vu que leur management package était complètement à l’eau, ils ont demandé un « reset » total, il y a eu une fin de non-recevoir, suivi de quelques mois assez tendus. La société se portait d’autant plus mal en raison de cette crise de management. Heureusement, ce dernier est revenu à la réalité en même temps que le business sous-jacent repartait et on a pu renégocier un nouveau package. J’ai également eu un cas beaucoup plus gros de prise de contrôle par le fonds de dettes. Il y avait déjà un fonds mixte private equity/dette qui était au pouvoir. Il y a eu une bataille homérique entre les fonds. Je précise qu’il n’y avait pratiquement pas de dette extérieure, c’était une dette unitranche par un fonds de dette. En ce moment, nous négocions un nouveau package avec un fonds de dette. Pour cet acteur, le management package, « c’est du mandarin ». Nous avons été amenés à expliquer les bases les plus élémentaires, alors même qu’il avait un conseil de premier plan. Mais ça a été extrêmement compliqué. Tant que l’économie est sous perfusion, nous évitons les sauvegardes et autres procédures encore plus dures. Mais c’est malheureusement un indicateur sur ce qui va se passer l’année prochaine sur des dossiers où il faudra absolument restructurer le management package. J’ai eu ces deux expériences assez douloureuses qui se sont bien conclues, heureusement, mais à l’issue de process plus que compliqués.

Grégory de Saxcé : En ce qui nous concerne chez Willkie, nous n’avons pas vu de renégociation de management package durant cette crise pour les dossiers que nous suivons aux côtés des sponsors. Donc je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que de manière générale il n’y a pas eu de vague de renégociations, sans doute parce que les parties prenantes étaient surtout occupées à sauver l’entreprise ; mais aussi et surtout parce que la nécessité ou non d’une renégociation va dépendre de plusieurs paramètres. Et nous allons donc regarder le LBO au cas par cas. S’il s’agit d’un LBO tout jeune qui vient de démarrer, en fonction du caractère résilient du secteur, peut-être pouvons-nous nous dire que le business plan va rattraper son retard. Ensuite, la renégociation du package va dépendre aussi du type d’instrument qui a été émis au départ. Il y a des managers qui ont investi une grosse partie en pari passu et une autre partie d’investissement ratchet qui dépend d’un multiple. Peut-être le besoin est-il moindre de renégocier cet instrument que, comme le disait Claire Revol-Rénié, pour un management qui a investi en pure « sweet equity » ou avec un instrument de ratchet qui est basé sur un TRI. Donc, tout va dépendre de la structuration du LBO, de son âge et du profil du management – on ne peut pas traiter de la même manière un management d’un LBO primaire (où le management n’a a priori pas beaucoup de capacité de réinvestir) et un management d’un LBO tertiaire ou quaternaire. Ainsi, pour un primaire, l’émission d’instruments gratuits au profit du management en sus de leurs instruments souscrits au départ peut faire plus de sens que la souscription d’instruments payants supplémentaires dans un tertiaire ou quaternaire dans lequel le management a plus de capacités d’investissement.

Claire Revol-Rénié : Exactement, c’est très protéiforme. Nous avons mené des renégociations, mais dans des cas très spécifiques. Typiquement, par exemple, une entreprise qui avait été achetée trop cher, un business plan qui avait été survendu par le management initial, celui-ci ayant après coup été remplacé par un nouveau management très légitime mais peu de temps avant la crise Covid. Il y avait une nouvelle équipe très motivée mais dans un secteur très impacté ponctuellement par la Covid et un fonds actionnaire qui croyait tout à fait au redressement. Ce dernier point est la variable numéro un. Nous avons eu une renégociation très facile permettant un vrai réalignement des intérêts avec un fonds qui s’est dit : « Je vais permettre au management de commencer à capter de la valeur à partir de 0,75x de multiple de mon equity. » Il avait trop d’enjeux de pertes et le fonds s’est dit : « Je suis convaincu que j’ai les bonnes personnes en face, donc je mets en place un nouveau package. » C’est vraiment un cas très particulier, parce que quand une opération est en relative difficulté, c’est compliqué d’admettre que le management puisse capter de la valeur alors que le fonds commence tout juste à récupérer sa mise. Evidemment, cela se fait sous forme d’actions gratuites, avec bien entendu un « reset » du package existant pour les managers qui sont encore là, sorte de clause de retour à meilleure fortune leur permettant de récupérer leur mise dans des conditions plus acceptables, tout ceci sous la forme d’actions de préférence, qui vont aller capter de la valeur dans les zones basses de la courbe de rendement de l’opération. Evidemment, tout ceci se fait après l’exercice difficile de refonte du business plan post-Covid permettant une indexation du management package en fonction de l’atteinte du business plan. Le fonds se dit : « Je crois à ce nouveau business plan, il me permet de faire 1,5x à 1,8x de multiple, donc je vais motiver le management de façon importante pour qu’il l’atteigne et je vais lui donner autant que possible une rétrocession de marché dans ce contexte. » Nous ne sommes pas dans ces conditions dans les benchmarks habituels de rétrocession, néanmoins ceux-ci doivent être suffisamment attractifs pour que la nouvelle équipe de management n’ait pas la tentation de s’en aller car sinon, c’est dramatique. Tout est affaire de contexte et ce qui dirige les discussions, c’est le réalignement des intérêts entre management et fonds d’investissement.

Grégory de Saxcé : Est-ce que tu penses, par exemple, que le fait pour le fonds de remettre de l’argent ou de faire appel à de nouveaux investisseurs ou à des LPs qui vont investir en minoritaire dans le deal, sans pour autant retoucher au management package, peut avoir aussi un effet motivant pour le management qui se dit : « Bon là, on n’est pas abandonné, peut-être que cet argent, que ce new money va nous permettre de rattraper un peu le retard perdu » ? J’ai vu cela pour certaines sociétés en portefeuille. Il ne s’agissait pas de restructuring pur mais d’un LBO clairement en difficulté. Des fonds minoritaires ont investi en OC (obligations convertibles), sans qu’on retouche pour autant au management package.

Claire Revol-Rénié : Pourquoi pas. Tout est dans la question de savoir où va atterrir le business plan en termes de rendement de l’equity total et si le management retrouve à un moment donné une rétrocession attractive au vu du contexte.

Guillaume Eymar : Avant de renégocier, il faut s’interroger sur le timing de la future sortie de l’opération. Si on n’est pas dans un timing de sortie, que le fonds est là depuis deux ans et qu’il peut attendre encore quelques années avant de s’inquiéter, il faut être patient. La société a le temps de récupérer. Globalement, on est plus sur des décalages si le timing de sortie approche. Nous, nous n’avons eu aucune renégociation de package mais nous avons vu des décalages de process lorsque tous les acteurs se disent : « Ce n’est la bonne année ni pour le management ni pour le fonds au capital, décalons le process d’une année et tout le monde s’y retrouvera. »

Claire Revol-Rénié : Nous pouvons néanmoins voir se profiler certaines renégociations de management package un peu plus frontales. Par exemple, dans l’hypothèse d’un management fondateur minoritaire mais très exposé financièrement qui, compte tenu de la structuration de l’opération avec une dette mezzanine, devient avec l’effet de la crise complètement insensibilisé au prix en raison de l’écrasement des valeurs de l’equity par le rendement de la mezzanine souscrite par le fonds. Dans ces conditions, clairement, il y a de fortes chances qu’il demande à son actionnaire de procéder à des modifications du management package, tant pour lui-même que pour ses managers, dès lors qu’il estime qu’il a le levier suffisant pour le faire. C’est d’ailleurs « au creux de la vague » qu’il a un intérêt à renégocier le management package puisque c’est à ce moment-là que les valorisations optionnelles d’un nouveau management package seront plutôt basses. Et si le management tarde et que la crise s’installe, le risque est élevé qu’il ne soit plus légitime à demander une quelconque renégociation.

Guillaume Eymar : Est-ce à cause de la conjoncture que la société a dérapé, ou à cause d’un équilibre initial qui était déjà mauvais sur ce LBO ?

Claire Revol-Rénié : Les deux sans doute. Mais il est vrai que nous arrivons souvent après un équilibre initial qui n’était pas forcément optimal, avec un modèle de package initial trop sensible et ne se déclenchant qu’à des rendements élevés du fonds d’investissement. Un bon exemple peut être un management package dont le critère de déclenchement est uniquement en TRI, qui démarre à des niveaux de performance élevée ou bien encore un investissement en sweet equity, avec peu d’investissement voire sans investissement pari passu du management, et avec une dette mezzanine à fort rendement. Il suffit d’une crise pour que la valeur du management package et de l’investissement du management soit réduite à zéro. Nous n’intervenons pas que pour des équipes de management dans des contextes concurrentiels et de croissance. Nous intervenons en effet aussi dans des opérations plus compliquées ou en difficulté naissante ou avérée, et ce qui compte avant tout, dans toutes les situations, c’est l’équilibre et l’alignement d’intérêts entre les actionnaires et le management. Les benchmarks de management package sont donc très variables en fonction du contexte.

Guillaume Eymar : Au vu des renégociations que tu as en ce moment, envisages-tu avec un regard différent les packages nouveaux que tu mets en place ?

Claire Revol-Rénié : Bien sûr, nous essayons d’éviter les management packages dont les critères de déclenchement sont exclusivement en TRI par exemple compte tenu de la potentialité de durée plus longue de l’opération de LBO. Le passage en multiple au bout d’une certaine durée nous semble donc important à maintenir. Nous faisons également attention au levier de dette et à la capacité du CEO à pouvoir dire non à un refinancement au-delà d’un certain levier qu’il estime déraisonnable. Autre élément : il faut faire encore plus attention en temps de crise et d’incertitude économique à l’exposition du CEO dans l’impulsion qu’il donne autour de lui pour que les autres managers investissent. Nos clients font dans ce contexte encore plus appel à nous, en qualité de conseils indépendants, pour que soient présentés au reste du management investisseur, de manière objective et indépendante du CEO (et de son lien hiérarchique inhérent), les risques financiers attachés à l’opération de management package.

Guillaume Eymar : Quand vous refusez maintenant des packages en TRI, comment le liez-vous au fait que la durée de détention chez les fonds est de plus en plus basse, que les fonds n’hésitent pas à vendre leur participation à 18-24 mois ? Faites-vous partir votre package systématiquement en TRI et pour le faire évoluer vers un multiple ?

Claire Revol-Rénié : Je redirai que ce qui est important, c’est d’avoir le passage d’un critère de TRI à un critère de multiple au bout d’une période de quatre ou cinq ans.

Jean-Luc Izoard : Pour notre part, nous avons concrétisé notre LBO secondaire avant la crise liée à la Covid-19, en 2019, avec un réinvestissement fort du management. Nous n’avons pas été dans ce cas de figure de devoir réinvestir en tant que manager en temps de crise, ni de devoir renégocier. Nous traversons la crise. Evidemment, celle-ci perturbe un peu le business plan. De toute façon, il n’y a pas que la crise qui perturbe les business plans, il y a aussi l’évolution permanente de l’environnement, la rapidité d’évolution et la vie des affaires en général.

Jacques-Henri Hacquin, associé fondateur, NG Finance : Un point sur ce qu’on a pu vivre cette année. Il y a effectivement aujourd’hui plusieurs univers d’opérations qui ont tiré profit de la crise du Covid-19. D’un côté, celui des « corporate sponsorless », sans investisseurs au capital, mais dont les dirigeants fondateurs détiennent une participation significative du capital, et qui réalisent des opérations de croissance externe et de réorganisation de capital avec les managers clés. Celui des secteurs dits résilients, avec les valorisations et des opérations dites « de place » auprès desquelles les investisseurs financiers se livrent une guerre acharnée. Et de l’autre, les secteurs impactés par la crise de la Covid où les participations en portefeuilles qui se restructurent en interne, en attendant leur tour…

Avant la crise de la Covid-19, au sein du cabinet NG Finance, nous réalisions à peu près 80 % d’opérations de management package en relation avec des sponsors majoritaires/minoritaires. Depuis avril 2020, nous avons vu la répartition baisser à 40 % avec les sponsors et en hausse à 60 % avec des fondateurs, managers, souhaitant « incentiver » des cercles de cadres clés dans une période très complexe, ceci dans le but de conserver leurs talents.

Concernant la mise en place des management packages avec la présence d’un sponsor financier, nous avions l’habitude de traiter des approches de TRI et de multiples. Nous avons très vite vu apparaître des ratios plus opérationnels, comme évoqué précédemment.

La répartition des ratios des sponsors a elle aussi évolué, entre TRI et multiple, nous observons aujourd’hui des seuils de TRI dans les premières années, suivis de multiples.

Enfin, au-delà de la maturité du LBO, nous l’avons vu sur d’autres secteurs, des fonds comme Ekkio Capital qui investissent dans le tourisme et les loisirs, ou dans la santé et la beauté, dont certains secteurs fortement impactés par la crise, où la réorganisation a très vite pris le pas et où les managers ne se sont pas posé la question de leur management package pendant la période.

Aujourd’hui, après une année entière, nous voyons réapparaître les résultats des premiers trimestres de 2021 où les secteurs comme le transport, les loisirs et les services à la personne deviennent résilients, à leur tour. Ceux-ci ont su digitaliser en grande partie leur activité. Concernant les acteurs qui restructurent, qui refinancent, et Claire Revol-Rénié en a bien parlé, on voit bien qu’il y a une transformation, une renégociation de packages sur les opérations.

Je prends l’exemple d’un plan sous l’eau, constitué d’ADP (actions de préférence), d’un ratchet classique avec TRI et de multiples. Les ADP ratchet ont été cédées et un nouveau package ADP s’est mis en place avec une combinaison d’AGA (attributions gratuites d’action). L’objectif était d’aligner les managers avec une surcouche soit d’AGA ADP, soit d’ADP ratchet, ici plutôt sur des multiples purs, sans TRI pour l’instant. Parce que je crois que l’histoire a parlé d’elle-même, nous avons moins de visibilité sur certains secteurs et il faut éviter de pénaliser les managers engagés. Nous voyons naturellement la maturité, des opérations LBO s’étendre, passant de deux-trois ans avant crise, avec pour certains, une remise à zéro et repartir pour trois-quatre ans de détention supplémentaire, compte tenu du décroché d’Ebitda, lors de la crise. Au final, on arrivera à des maturités d’opérations de sept-huit ans. Mais, quoi qu’il en soit, je n’ai jamais vu, jusqu’à aujourd’hui, de réinvestissement où l’on a laissé le management package se faire écraser par la new money. Evidemment, nous ne sommes pas sollicités s’il n’y a pas de renégociation de package… Mais ça me paraît fortement risqué et compliqué de motiver un manager qui risque de se faire écraser en equity, sur un business plan qu’il va devoir redresser dans un secteur complexe d’ici deux-trois ans avec une sortie prochaine. Concernant les seules prochaines sorties que j’ai pu voir, il y a eu tout de suite un nouveau package à 24 mois pour réaligner les intérêts et éviter un risque de démotivation des managers.

Les perspectives en matière de management package sur les prochains mois

Jacques-Henri Hacquin : Du fait des ordonnances de mai 2020 qui « protègent » les sociétés ou qui les subventionnent jusqu’à la fin de l’année 2021, nous ne voyons pas encore de restructurations massives. Néanmoins, il va falloir être très attentif au débouclage de certains packages, parce que ceux qui ne sont pas « sous l’eau » aujourd’hui le seront peut-être demain. Nous sortons à peine d’une période très délicate pour les managers concernant la gestion opérationnelle. Parmi les quelques restructurations de packages, nous observons soit la mise en place d’une surcouche d’AGA, quand il s’agit de venir combler un déficit futur de rendement attendu par les sponsors, soit une remise à plat complète avec des entrées et des sorties utiles pour les nouveaux managers. Nous avons aussi vu des clauses de leavers se renégocier au cas par cas, ou être abandonnées.

Après, nous avons noté une forte volatilité sur les packages avec des valorisations plus hautes, ou plus basses. Nous ne pouvons pas donner véritablement de sens. Claire Revol-Rénié a évoqué un élément important, à savoir que mécaniquement on pourrait dire que c’est contre-intuitif de penser qu’en période de crise, le package augmente ou diminue de façon logique. En fait, le package augmente ou diminue en fonction de l’évolution future ou probable de la volatilité des fonds propres. Plus vous créez de l’incertitude, plus vous avez un impact important sur la hausse ou la baisse du package. De plus, il peut y avoir des effets de seuil très importants en fonction des seuils de TRI qui sont retenus ou des seuils de multiples.

Pour exemple, j’ai pu voir des multiples de fonds propres démarrant très bas, entre 0,75x et 1x dans certains secteurs. Cela peut emmener le manager sur un proceed élevé et un package avec des valorisations élevées. A l’inverse, les conditions de TRI, pouvant être irréalistes sur des fonds propres, viennent écraser la valorisation du package mais aussi les chances et le succès de pouvoir réaliser un proceed pour les managers.

Ces indications sont à prendre avec beaucoup de pincettes car en fonction de la structuration, des proceeds, des cercles de managers, on peut voir des disparités importantes. Quoi qu’il en soit, la crise a créé une volatilité très forte impactant le package, soit à la hausse, soit à la baisse. Mais historiquement nous calculions des primes comprises entre 5 % et 8 % du sous-jacent. Aujourd’hui, nous avons un spread compris entre 4 % à 15 % pour les packages.

Stéphane de Lassus : Cela peut poser de gros problèmes techniques en matière de restructurations de packages. Dans un cas rencontré, le fonds s’était engagé sur l’attribution d’actions gratuites. Il était, en effet, hors de question que des managers ayant investi au closing remettent un euro à risque. On se retrouvait avec la fameuse règle des 10 %. Il est possible de la contourner, mais on peut arriver à avoir une promesse d’un fonds qui ne parvient pas à se matérialiser juridiquement en raison d’un problème technique avec les actions gratuites. Il faut donc faire attention à ce que les négociations entre le fonds et les managers soient toujours accompagnées de conseils financiers et juridiques. Il n’y a rien de pire que d’avoir négocié pendant des semaines voire des mois et au final, une fois l’accord financier trouvé, de faire face à un problème technique. Cela peut crisper à nouveau les relations. Après, nous pouvons faire appel à un évaluateur pour réaliser une option peu chère à acheter, pour l’écart très improbable des très hauts TRI ou les très hauts multiples. Il peut être également judicieux de faire plusieurs scénarios pour voir ce que les managers vont toucher avec différentes catégories de dettes, différentes tranches de dettes avec des intérêts. C’est vraiment un travail encore plus fin qu’avant. Et puis, pour ma part, je joins toujours des exemples afin que les managers n’aient pas l’impression, trois, quatre ou cinq ans après, d’avoir été « floués ».

Jean-Luc Izoard : Ce que vous dites est parfaitement juste en ce qui concerne les grosses opérations. Pour notre part, nous nous situons entre les petites et les moyennes, on est un petit mid ou un gros small. Même sur des opérations de notre taille, nous avons vite compris qu’il nous fallait être bien entourés. Au début, cela peut faire un peu peur. Mais pour autant, très clairement, je crois que cela est absolument clé. Et s’il y a un conseil à donner à ceux qui vont entrer en primaire, c’est d’être bien entourés, parce qu’on n’est absolument pas omniscient en tant que manager et que ce type d’opération reste assez complexe. Même si on ne peut pas tout prévoir, il est capital d’être bien conseillé dès le départ, quitte à dépenser un petit peu plus, mais on s’y retrouve dans la durée.

Patrick Mousset : Il arrive effectivement qu’il y ait parfois une dissociation d’intérêts économiques et parfois juridiques entre catégories de managers, comme par exemple entre des dirigeants historiques ayant réalisé plusieurs LBO et les primo-entrants. Certaines situations nécessitent alors que des conseils juridiques différents coexistent, en toute indépendance.

Stéphane de Lassus : Les fonds sont très regardants sur la table de capitalisation du management package. Ils laissent maintenant rarement le CEO décider dans son coin qui va avoir quoi. Les fonds sont très intrusifs sur le sujet. J’ai vu deux ou trois propositions de CEO se faire retoquer car il ne donnait pas assez à certaines personnes du comité exécutif ou juste en dessous de la hiérarchie. Le fonds n’avait pas la même vision des cadres clés.

Claire Revol-Rénié : Pour ma part, j’ai expérimenté l’inverse récemment. Un fonds nous a dit « le CEO ne s’octroie pas une part assez importante du management package ». On voit donc les deux situations, cela dépend du contexte et de l’approche managériale et des enjeux.

Guillaume Eymar : Je rejoins ce que dit Stéphane de Lassus. Cela peut être la première mauvaise impression qui est laissée par un CEO de vouloir prendre trop de package. Je l’ai vu sur un deal récent. Le CEO avait la main sur la répartition du package, il s’est trop servi. Le fonds a accepté, mais c’est une première mauvaise impression qui va jouer sur le reste du LBO, j’en suis certain.

Claire Revol-Rénié : Exactement. C’est notre rôle d’éclairer le CEO en lui indiquant les benchmarks de répartition du management package. Comme nous sommes intervenus sur beaucoup d’opérations, de toute taille, depuis plus de 25 ans, nous sommes en mesure de donner un avis éclairé à ce sujet. Et pour revenir sur la situation des renégociations dans les prochains mois, je dirais qu’il y a deux situations différentes. Premièrement, il y aura des renégociations en bonne et due forme parce qu’elles doivent avoir lieu en raison d’un déséquilibre existant, d’un désalignement d’intérêts avéré et, même si l’on a conscience que cela va conduire à une structuration complexe, difficile à mettre en place, ces renégociations auront lieu. Je rejoins Stéphane de Lassus sur ce sujet : refaire un package, redétricoter et retricoter un package en cours d’opération, cela reste très compliqué à réaliser en raison de contraintes préexistantes à tous les niveaux. Il faut dans ce cas une vraie volonté commune, du fonds et du management, de réalignement d’intérêts pour que cela fonctionne. Deuxième situation, il s’agit des opérations qui vont être en difficulté, qui vont basculer dans les procédures collectives ou de sauvegarde. Ce contexte est très compliqué également. Les banques entrent en ligne de compte dans la négociation. La mission du management est alors complexe. Souvent, il a déjà virtuellement tout perdu s’agissant de son investissement et de son management package, mais il se doit de sauvegarder les intérêts de l’entreprise avant de sauvegarder les siens car il est garant de l’intérêt social. Il doit en même temps s’assurer qu’il subsiste un minimum de motivation au sein de ses équipes, sinon le risque est que ce soit l’hémorragie dans l’effectif, c’est dans un tel contexte que la renégociation s’initie généralement.

Elargissement des cercles des bénéficiaires des management packages

Guillaume Eymar : Nous avons récemment constaté une tendance consistant à créer de plus en plus de cercles des bénéficiaires. Dans une opération récente, un élargissement a été mis en place en faveur d’un dernier cercle de 200 commerciaux, dans une société qui en compte près de 600. Cela permet de sécuriser leur implication dans l’entreprise, au-delà du bénéfice financier. C’est souvent le souhait des CEO d’intégrer un maximum de personnes dans ces packages.

Jean-Luc Izoard : Il existe un outil assez peu utilisé, qui n’est pas directement un élément du management package mais qui permet d’associer de nombreux collaborateurs à une opération. Dès notre premier LBO, qui concernait un nombre réduit de managers, nous avons souhaité associer l’ensemble des salariés au capital de la société cible. Nous avons donc monté un FCPE salarié qui nous a permis d’accueillir au capital presque 60 % des collaborateurs de l’entreprise. En créant ce FCPE, nous avons monté une opération très structurée qui offre finalement les mêmes conditions et modalités de valorisation et dont les conditions sont alignées. Nous souhaitions signifier que d’autres cercles que le management pouvaient être associés à l’opération. Comme vous le disiez, les enjeux financiers ne sont pas colossaux, mais cela permet à chacun de participer à l’aventure actionnariale.

Patrick Mousset : Jusqu’en 2008, nous sommes intervenus sur des opérations dans lesquelles ont été mises en place des FCPE, notamment sur des opérations tertiaires. Nous avons constaté que cela permettait de limiter le turn-over des salariés et de réaliser une économie tant en matière de temps que d’énergie. Dans les années 2010, quelques opérations se sont soldées par des grosses pertes. Cela a généré un net ralentissement de ce type de montage de la part des dirigeants, de peur de se sentir responsables de pertes, qui n’étaient certes pas importantes, mais qui restaient néanmoins possibles. Les FCPE qui avaient le vent en poupe de 2005 à 2007 sur des LBO d’importance reviennent légèrement aujourd’hui, avec notamment un système d’abondement de la part de l’entreprise en cas de vente.

Claire Revol-Rénié : Nous constatons une double tendance, très nette. Le marché du private equity est arrivé à maturité, avec beaucoup d’argent disponible et un aspect « life-changing » pour beaucoup de managers lorsque les opérations sont de belles réussites avec un management package généreux à la clé. Philosophiquement, la question du partage de la création de valeur se pose donc désormais. Et c’est une très bonne chose. Cette tendance a pu se traduire par la constitution sur certains LBO de management package avec jusqu’à plus de 1 000 bénéficiaires actionnaires. L’accès direct au capital d’une société par un si grand nombre de personnes représente un risque non négligeable, à différents points de vue. Plus le cercle s’élargit, moins les bénéficiaires prennent conscience des risques. Même si financièrement tout se passe bien, il existe un risque au niveau de la gestion du turn-over et de l’application des accords contractuels en cas de départ. Pour le CEO, les questions se posent également du point de vue juridique au regard des règles du démarchage financier ou de l’appel public à l’épargne, etc. La tendance désormais dans cette recherche de partage de la valeur est d’utiliser des outils qui sont plus sécurisés et adaptés à des volumes importants de salariés, tels que le FCPE. Il est même possible, pour encore diminuer le risque économique pris par les salariés, de positionner le FCPE sous la dette. Cela permet d’écarter le risque du levier de dette. Nous constatons aussi parfois la mise en place de deux FCPE situés à des niveaux de risque différents, avec l’un qui bénéficie de cet effet de levier et l’autre qui reste plus sécurisé, mais sans perspective de plus-value importante. Paradoxalement, nous constatons en effet cette recherche de l’élargissement du cercle des bénéficiaires de la création de valeur ajoutée. Mais celle-ci est freinée par la crise et les risques trop importants qui sont encourus du fait de la période d’incertitude actuelle, de la trop grande complexité des montages, mais aussi faute de pouvoir trouver l’outil adéquat. Il existe certes maintenant le système du contrat de partage de plus-value, qui est un nouvel outil qui n’est pas encore, de notre point de vue, mis suffisamment en place, mais qui est très utile pour des grands cercles de managers. A ceci près que certains fonds lui reprochent l’absence de mise de départ et donc son absence de risque versus l’attribution du gain direct de plus-value qu’il apporte. La réflexion du marché est active sur ces sujets, mais elle se heurte en général au problème de l’aversion au risque capitalistique pour des bénéficiaires qui n’ont pas conscience des enjeux.

Jean-Luc Izoard : Dans le contexte d’un FCPE salarié, le champ est souvent beaucoup plus réduit parce que, généralement, les salariés investissent leur participation, leur intéressement. Ces derniers gardent le choix de le faire ou de ne pas le faire.

Stéphane de Lassus : De plus, dans cette configuration, personne n’est forcé d’investir. Il existe également les préconisations de France Invest en matière de versement de primes de partage de plus-values, qui restent néanmoins assez rares. J’ai constaté plusieurs cas dans lesquels des managers exigeaient, à la sortie du LBO, le versement de la part du repreneur d’une prime en faveur de l’ensemble du personnel au titre du changement de contrôle. Dans un cas, un manager avait exigé que la réserve qui ne serait pas distribuée soit allouée sous une forme ou une autre à l’ensemble des salariés. Il existe tout de même une forte volonté de certains managers de faire bénéficier les salariés de la plus-value, même si cela est symbolique. Il s’agit donc de primes considérées comme des salaires taxables et soumis aux charges sociales, mais c’est un phénomène que je constate dans un pourcentage non négligeable d’opérations.

Claire Revol-Rénié : Le FCPE est un outil extraordinaire fiscalement et socialement. Cependant, dans le cadre d’opérations portant sur des groupes plus petits mais néanmoins très présents à l’étranger, leur mise en place, avec la volonté de réaligner tous les niveaux de collaborateurs des différents pays, est extrêmement difficile car complexe ou impossible à exporter. Nous avons donc recours par défaut aux actions gratuites, aux phantom stocks, aux LTIP ou tout autre mécanisme d’incentive équivalent.

Patrick Mousset : Concernant les problématiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et ESG (environnement, social, gouvernance), nous constatons dans les règlements et la structuration de fonds aujourd’hui de la part des LPs plus de demandes d’intégration et d’élargissement du cercle des investisseurs.

Grégory de Saxcé : Sur l’élargissement des cercles, je rejoins ce qui a été évoqué par Claire Revol-Rénié et Guillaume Eymar sur la tendance et les risques que cela implique. S’il est vrai que la générosité des rétrocessions de plus-value de ces dernières années pousse à mon sens à une démocratisation des management packages à des cercles plus élargis de cadres – on voit bien d’ailleurs que tout termsheet de MIP mentionne systématiquement une réserve à allouer à de futurs managers – cet élargissement porte un risque intrinsèque en cas de crise : ne faut-il pas alors se concentrer sur des managers en mesure de comprendre et d’assumer le risque de pertes ?

RSE et management package

Jean-Luc Izoard : Nous avons engagé des démarches RSE depuis de nombreuses années et sentons aujourd’hui de la part des fonds une attention toute particulière sur ces sujets qui font l’objet d’audits spécifiques. Je pense même que la RSE, dans un futur relativement proche, va conditionner l’accès aux marchés des capitaux, que ce soit en matière de fonds propres, mais aussi en matière de dette qui sera modulée en fonction des performances RSE. Il s’agit d’une vraie tendance de fond.

Jacques-Henri Hacquin : En effet, les GPs font remonter ces informations dans les reportings des LPs. Nous l’avons constaté sur plusieurs opérations dont les packages comportaient des critères RSE, qui consistaient notamment en des éléments de surperformance de proceeds rétrocédés. Il s’agissait d’un LBO dans le secteur du transport, avec des problématiques de maîtrise de niveau de pollution de l’activité industrielle sur la base de bilans carbone. Ce qui demande un travail de fond et de pilotage. Un kicker complémentaire de proceed, de l’ordre de quelques pourcents, 1 % à 2 %, avait été mis en place, permettant une surperformance en cas d’atteinte.

Guillaume Eymar : Je rejoins la position de Jean-Luc Izoard, il s’agit d’une tendance de fond, j’en suis convaincu. Les LPs l’imposent aux sociétés de gestion, qui se doivent de les suivre. Comme le mentionne Jacques-Henri Hacquin, il s’agit d’une remontée d’information à présenter aux investisseurs. Cependant, je ne sens pas encore qu’il s’agit d’un vrai sujet de préoccupation, mais un critère nécessaire, indispensable, pour placer et lever l’argent. Je n’avais jusqu’à maintenant jamais constaté de kicker sur des critères RSE.

Jacques-Henri Hacquin : Il s’agit d’un cas très particulier qui n’est pas représentatif par rapport au nombre d’opérations que nous avons réalisées.

Claire Revol-Rénié : Je rejoins Guillaume Eymar et Jean-Luc Izoard sur le fait que la RSE devient une vraie préoccupation, mais qui n’a pas encore de conséquences sur la structuration des management packages. Pour l’instant, les conséquences qui découlent de la crise sanitaire sont bien plus importantes.

Grégory de Saxcé : S’il est vrai que la question des RSE intègre petit à petit les MIP, avec des engagements plus ou moins forts de mettre en place des procédures de suivi dans le pacte, je ne l’ai encore jamais vu sanctionné. En revanche, il me semble que les critères RSE peuvent être aussi pris en compte dans les objectifs de rémunérations variables des dirigeants.

Conclusion

Claire Revol-Rénié : En conclusion, je dirais que la crise place encore plus le management au centre de l’opération de LBO. Tout en restant l’actionnaire minoritaire, celui-ci doit composer avec les acheteurs et son actionnaire. Nous constatons de plus en plus que les managers mènent une réflexion de façon à anticiper davantage l’étape suivante, avec une recherche d’acteurs de plus long terme, des exigences de TRI moindres, ou une combinaison stratégique/fonds minoritaire ou fonds majoritaire, en prenant justement en considération le fait que « les arbres ne montent pas au ciel ». Le management se retrouve davantage acteur du destin de son entreprise avec une réflexion stratégique à long terme. Les plus belles opérations sont généralement l’œuvre de managérats qui, outre la performance, apportent cette vision à des partenaires financiers successifs qu’ils ont contribué à choisir. Il s’agit systématiquement d’une collaboration étroite et d’un équilibre entre l’acheteur, le vendeur et le management.

Guillaume Eymar : Je suis d’accord avec ce constat, l’équilibre est le maître-mot d’une opération qui réussit. Il est difficile de tout optimiser, mais lorsque l’acheteur, le vendeur et les managers sont satisfaits, on sait que l’opération est réussie. Cet équilibre est très délicat à obtenir et il est propre à chacune des opérations, en fonction de l’importance et de la qualité du management et de l’organisation du capital. Tout le monde a tendance à tirer la couverture vers soi, et on sait qu’un deal qui est déséquilibré dès le départ a de fortes chances de connaître des tensions, qui auront des conséquences dans la réussite de la sortie, donc sur le TRI, donc sur le package, etc.

Stéphane de Lassus : Nous devons encore plus réfléchir à tous les scénarios possibles. Nous l’avons vu avec la Covid-19, d’autant que nous nous trouvons dans un marché mature. Il y a quand même une certaine normalisation du marché. Je voulais partager une inquiétude, liée à deux opérations de LBO en difficulté sur lesquelles je suis intervenu, qui ont été extrêmement difficiles. Si le marché est confronté à des problématiques de restructuration, les opérations s’annonceront plus dures, il va y avoir « du sang et des larmes ». Lorsque nous intervenons dans un deal primaire ou secondaire, nous avons une plus large marge de manœuvre et de créativité. Mais cette crise nous pousse davantage à réfléchir avec les fonds et le manager pour anticiper toutes les situations. J’ai pu être confronté à de mauvaises surprises dans les contrats de financement qui ont fortement impacté le LBO. Il faut vraiment que l’ensemble des avocats corporate soient transparents avec les avocats en charge du management package et les financiers pour anticiper toutes les situations, ce qui est le gage d’un LBO réussi.

Patrick Mousset : Je rebondis sur le sujet de l’importance de la dette, qui a été évoquée. Il nous arrive, en tant que conseil du management, d’adjoindre l’expertise de nos équipes sur tous les aspects de la dette dans les opérations que nous menons. Sur un autre sujet, pendant très longtemps, le constat que nous dressions était que la France était l’exception en termes de pouvoir du management dans les opérations de LBO. Avec l’arrivée d’investisseurs étrangers, je m’interroge sur la possibilité pour les managers d’autres juridictions en Europe (Italie, Allemagne, Espagne) de prendre un peu plus de pouvoir de négociation.

Jacques-Henri Hacquin : Pour ma part, je suis extrêmement enthousiaste dans la perspective des prochains mois, non pas pour les aspects « restructuring », mais plutôt parce que je me suis rendu compte, dans les business plans des entreprises, qu’on pouvait regarder au-delà des seuls secteurs qui surperforment actuellement.

Les entreprises ont démontré leur capacité de résilience et leur aptitude à concentrer leurs investissements sur leurs outils de production.

Avec la digitalisation « forcée », l’industrie française va bénéficier dans les mois qui viennent d’un élan extrêmement favorable. Evidemment, nous serons confrontés à des restructurations, mais en tous les cas, nous avons encore une fois la démonstration que le rôle des managers et de l’humain reste au centre d’une société qui se transforme, avec une industrie qui s’est digitalisée en l’espace d’un an au lieu des dix années qui auraient été nécessaires en temps normal. Il s’agit d’une période extrêmement intéressante. Concernant les management packages, nous nous rendons compte que leur rôle est plus que jamais clé. Grâce aux outils légaux qui ont été mis en place en 2015 (AGA, etc.). Le mécanisme d’intéressement et d’actionnariat salarié ne concerne, aujourd’hui, plus seulement les opérations de LBO, mais également un cercle plus large de sociétés qui va dans le bon sens pour sécuriser le talent humain en France.

Jean-Luc Izoard : Pour conclure en trois mots, je commencerai par le mot « équilibre », que je partage complètement avec Guillaume Eymar. L’équilibre est une des clés de la réussite dans les LBO, mot auquel j’ajouterai celui d’« alignement ». Pour cela, il faut être bien conseillé. Enfin, un troisième mot, c’est l’« anticipation » du management qui est aux manettes. Parce que je pense quand même que le LBO dans la vie d’une entreprise reste une phase transitoire, entre deux étapes et qu’il faut anticiper de nouvelles solutions de sortie.

Grégory de Saxcé : Moi aussi, je suis très enthousiaste pour l’avenir, même si les éventuelles perspectives d’opérations de restructuration, sur lesquelles je suis intervenu en 2008/2009, étaient des opérations difficiles. Il serait intéressant de refaire ce débat dans un an, pour voir si nos analyses sont toujours valables. Pour répondre à Claire Revol-Rénié, je négocie actuellement un package basé sur du TRI. Je représente le dernier sponsor de l’opération et je pense que le management va l’accepter. Cela illustre que le TRI a peut-être encore un peu d’avenir… 

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