Tant les fonds de private equity qui souhaitent réaliser leur investissement que les groupes corporate qui veulent se désengager d’un actif non stratégique privilégient de plus en plus souvent la sortie par voie d’introduction en bourse aux opérations M&A.
Par Olivier de Vilmorin, avocat, associé, Sullivan & Cromwell et Seela Apaya-Gadabaya, avocat, Sullivan & Cromwell
Malgré la volatilité des marchés et l’instabilité de l’environnement économique, les introductions en bourse permettent souvent de réaliser des opérations de taille significative tout en maximisant la valeur de l’actif. Le report de l’opération Deezer ne doit pas être perçu comme un coup d’arrêt aux IPO.
Il s’explique par la sophistication et la sélectivité du marché.
Une IPO ne permet que très rarement à l’actionnaire cédant de sortir intégralement. Il conserve souvent une participation qui peut être significative. L’organisation du gouvernement d’entreprise post-IPO constitue donc un enjeu important. Par ailleurs, la possibilité offerte par la Loi Florange de bénéficier automatiquement de droits de vote double peut donner lieu à des débats quant au point de départ de la période de détention pour l’acquisition du droit de vote double. Enfin, si l’opération comporte une partie primaire importante, l’actionnaire cédant souhaitera non seulement maximiser le prix mais également pouvoir démontrer un parcours boursier sans faute depuis l’IPO pour faciliter les futures cessions.
Adaptation de la gouvernance post-IPO
L’introduction en bourse impose aux sociétés d’adapter l’ensemble de leur gouvernement d’entreprise au cadre légal et réglementaire applicable aux sociétés cotées et aux exigences du marché, lesquels incluent l’adhésion à un code de gouvernement d’entreprise adapté à sa taille (Code AFEP-MEDEF ou code Middlenext). Cette adaptation impose notamment la nomination d’administrateurs indépendants ou encore le respect des règles de représentation équilibrée hommes-femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
En fonction du succès de l’opération, l’actionnaire cédant conservera une participation plus ou moins importante et sa représentation dans les organes de gouvernance devra donc pouvoir être ajustée pour en tenir compte. Ainsi, Eurazeo qui détenait plus de 90 % du capital d’Elis avant l’IPO avait prévu la nomination d’un administrateur indépendant supplémentaire si après les cessions intervenues dans le cadre de l’IPO la détention d’Eurazeo se situait aux alentours de 40 % du capital.
Enfin, si la participation résiduelle de l’actionnaire cédant est relativement faible, celui-ci devra s’interroger sur l’opportunité d’être représenté au sein des organes de la société. En effet, cette représentation lui donnera accès à des informations privilégiées, ce qui limitera les périodes pendant lesquelles il pourra céder sa participation résiduelle.
Le droit de vote double
La Loi Florange a instauré, sauf clause contraire des statuts, l’attribution automatique d’un droit de vote double dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé pour toutes les actions entièrement libérées pour lesquelles il est justifié d’une inscription au nominatif pendant deux ans au moins.
Pour les sociétés cotées n’ayant pas fait usage de la faculté de prévoir un droit de vote double statutaire avant l’entrée en vigueur de la Loi Florange, celle-ci précise que la comptabilisation du délai de deux ans débute à compter du 2 avril 2014, date d’entrée en vigueur de la loi.
Se pose alors la question des modalités de comptabilisation du délai de deux ans pour une société dont les actions sont admises aux négociations après le 2 avril 2014.
Certains émetteurs ont choisi de faire courir le décompte du délai de deux ans seulement à compter de la date d’admission aux négociations des actions de la société. Ainsi, la période comprise entre le 2 avril 2014 et la date d’admission aux négociations n’est pas prise en compte. Cette approche consistant à choisir un point de départ pour le décompte du délai de deux ans qui soit aussi tardif que possible est souvent retenue par les banques pour faciliter le placement.
Toutefois, la lecture du texte permet aussi de considérer que la comptabilisation du délai de deux ans peut débuter dès le 2 avril 2014, le critère de l’admission aux négociations des actions de la société ne trouvant à jouer que s’agissant de l’attribution effective du droit de vote double.
D’autres émetteurs ont opté pour un décompte de la période de deux ans intégrant la période de détention écoulée avant l’admission aux négociations. Ainsi, tous les actionnaires inscrits au nominatif depuis au moins deux ans au moment de l’admission aux négociations bénéficieront du droit de vote double.
Ces nouvelles dispositions offrent des options diverses, lesquelles donnent lieu à un choix en opportunité par les émetteurs, leurs actionnaires et les banques garantes.
Fixation du prix, un exercice délicat
L’objectif le plus évident des actionnaires cédants est de bénéficier de la valorisation la meilleure pour la société à introduire et de maximiser le prix de cession de leur participation. L’assouplissement des règles d’encadrement du prix applicable depuis janvier 2015 et qui permet désormais d’utiliser une fourchette de prix de +/– 15 % autour d’un prix pivot permet de lancer une opération en laissant aux investisseurs une plus grande souplesse sur leur appréciation de la valorisation. L’exercice de valorisation étant difficile, cela peut aussi permettre de concilier, au moins au moment du lancement de l’opération, des vues pouvant être divergentes entre les actionnaires cédants, le management de la société à coter ou les banques garantes.
Par ailleurs, ce souhait d’obtenir la meilleure valorisation possible dès l’IPO doit être tempéré par la nécessité de créer les bases d’un parcours boursier satisfaisant post-IPO afin de permettre aux actionnaires souhaitant céder leur participation résiduelle après expiration des engagements de conservation consentis lors de l’IPO de le faire dans de bonnes conditions de prix.
Olivier de Vilmorin, avocat, associé, Sullivan & Cromwell et Patrick Bonvarlet, avocat, Sullivan & Cromwell
Quelles sont selon, vous les problématiques dans le contexte actuel du marché ?
Le marché est actuellement et depuis plusieurs mois caractérisé par une volatilité et une fébrilité qui sont théoriquement difficiles à concilier avec la préparation d’une opération au long cours telle qu’une IPO.
En effet, une IPO requiert en général une préparation d’environ 4 à 6 mois, de sorte qu’il arrive désormais fréquemment que les conditions de marché qui prévalent au moment de la fenêtre de marché initialement visée ne soient pas aussi porteuses qu’espéré et qu’il soit nécessaire de décaler le calendrier de l’opération. Cela a été notamment le cas de Spie qui a pu par la suite réaliser son IPO avec succès. D’autres sociétés qui n’ont pu réaliser leur IPO dans le calendrier fixé ont préféré se tourner très rapidement vers une cession, comme cela a été le cas pour Labco.
Dans le contexte actuel, un très grand nombre d’événements de nature politique ou économique qu’ils soient nationaux ou internationaux, peuvent avoir un impact, parfois imprévisible sur les marchés de sorte qu’il devient extrêmement difficile de définir un calendrier d’opération de marché qui ne soit pas émaillé par des évènements pouvant affecter négativement les marchés. L’anticipation et la préparation de scenarii alternatifs sont actuellement indispensables à la réalisation des IPO dans la mesure où les émetteurs et leurs actionnaires souhaitent pouvoir se mettre en mesure de saisir toute fenêtre de marché positive.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Notre cabinet dispose d’une équipe qui intervient régulièrement sur des opérations d’introduction en bourse ainsi que sur des opérations de levées de capitaux par des sociétés cotées (émissions equity ou equity-linked) et cela tant en qualité de conseil de l’émetteur qu’en qualité de conseil des banques garantes.
Les membres de notre équipe ne sont pas cantonnés à des interventions sur des domaines de compétences très spécifiques ou sur un type d’opération spécifique. Elle a démontré sa capacité à créer et à mettre en œuvre des solutions innovantes sur un grand nombre d’opérations. Cette polyvalence et cette créativité permettent à chacun des membres de l’équipe d’appréhender une large palette de sujets qui peuvent se présenter lors de la préparation d’opérations telles que les IPO.
Notre équipe compte des avocats qualifiés en droit français et en droit américain. Il s’agit d’une équipe resserrée et dont la taille humaine permet d’assurer au client une réelle relation intuitu personae. Elle s’appuie dès que cela est nécessaire sur l’expérience et l’expertise des bureaux du réseau Sullivan & Cromwell localisés en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie.