Expertise

Restructurations : faire face à une nouvelle donne plus opérationnelle

Publié le 14 février 2014 à 15h31    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h28

Guillaume Cornu

Par Guillaume Cornu, Associé Ernst & Young, Responsable du Département Transaction Advisory Services et du Hub Restructuring

En 2008-2009, du fait des effets combinés de l’euphorie du marché des LBO des précédentes années et de la crise des marchés financiers, les sociétés sous LBO ont traversé une première vague de restructurations. Que les difficultés soient de nature opérationnelle, financière, ou plus souvent un mélange des deux, les parties prenantes ont alors joué la carte de l’attente. En assurant le financement à court terme, en donnant une franchise de remboursement en capital de la dette moyen terme, en redéfinissant le profil de la dette, elles ont laissé aux sociétés le temps de se redresser. Aujourd’hui, le temps de l’attente est passé. La persistance de la crise et le nombre important de sociétés en difficulté donnent naissance à une seconde vague de restructurations, plus profondes et plus globales.

Deux types de dossiers

De façon un peu schématique, on peut distinguer deux catégories de dossiers. La première est celle des «rechutes» : des sociétés ayant déjà fait en 2008-2009 l’objet d’une restructuration, mais trop légère car basée sur l’hypothèse d’une reprise. La seconde catégorie est constituée de sociétés qui, opérationnellement, «tiennent la route» mais se trouvent face à un mur de dette. Ce sont des actifs entrés en portefeuille en 2006-2007 sur la base de business plans optimistes, de valorisations élevées, et par conséquent avec un fort effet de levier. L’importance de la dette mais aussi sa structure, qui privilégiait la partie remboursable in fine, les place aujourd’hui face à des échéances qu’elles ne peuvent pas honorer, et surtout, que le contexte dégradé ne leur permet pas de refinancer facilement.

Un impact fort sur l’opérationnel

L’impact des restructurations sur l’activité de la société est très significatif. Le processus est long et s’accompagne de discussions complexes : créanciers et actionnaires ont des intérêts divergents, chacun essayant de minimiser sa perte. Les dirigeants, qui ont été choisis pour leur capacité à faire croître l’activité, ont parfois du mal à gérer cette période et les répercussions peuvent être de plusieurs natures.

Première conséquence, la restructuration mobilise intensément l’équipe de management. Cette dernière est alors soumise à un stress important, doit porter une charge supplémentaire de travail, et peut de fait être moins concentrée sur l’opérationnel.

Une autre conséquence est le risque de rupture de la confidentialité du processus. Les discussions impliquent des interlocuteurs nombreux et variés (fonds, banques françaises, banques anglo-saxonnes, CLOs, etc.). Du fait de cette multiplicité d’acteurs, les partenaires de la société peuvent avoir vent du processus et s’en inquiéter. Au niveau des fournisseurs et des assureurs crédit, le risque est important et la communication est déterminante.  Il est coutume de dire qu’ils peuvent comprendre une difficulté, mais qu’il est néanmoins préférable de leur apporter une solution, car sinon, ils seront contraints de réduire leurs encours avec des effets dévastateurs sur le BFR. Mais le risque reste souvent contrôlable ces acteurs connaissent bien la société et ont une idée de la valeur de l’actif. Même s’ils apprennent qu’un travail de restructuration est en cours, ils ne rompront pas les relations. Ils peuvent souhaiter ajuster les conditions de leurs contrats, avec des répercussions sur le BFR et la trésorerie, mais sans forcément menacer la pérennité de la société. Pour les rassurer et répondre à leurs questions, le management doit se livrer à un exercice permanent de communication et de pédagogie. Mais c’est au niveau des clients que réside le risque principal. Si ceux-ci pensent que la société risque de faire défaut, de ne pas honorer ses commandes, s’ils sentent que les dirigeants ne sont pas assez mobilisés sur l’opérationnel, ils peuvent envisager de changer de fournisseur pour se sécuriser. Ce sont alors l’activité et le développement de l’entreprise qui sont menacés, et non plus seulement la gestion de son cash. Pour préserver l’actif, la confidentialité, mais également la rapidité des négociations, sont donc clés.

Des négociations perdant-perdant

Personne ne sort gagnant des restructurations financières. La première étape des discussions entre parties prenantes consiste dans l’acceptation que toutes perdront au moins une partie de leur investissement. Cette considération est particulièrement vraie en France, car notre environnement légal pousse à la négociation, là où d’autres juridictions sont plus radicales. Aux Etats-Unis par exemple, les intervenants ayant voix au chapitre sont déterminés en fonction de leur rang et  à partir de la valeur  de l’actif : les sponsors seront exclus les premiers, puis les créanciers, en commençant par les plus juniors. L’objectif est de permettre aux créanciers seniors de récupérer la plus grande partie possible de leur investissement. Le cadre français, en  revanche, érige comme priorité la préservation de l’entreprise. Les rangs ne sont pas respectés et tous les investisseurs participent à la recherche d’une solution, avec  très souvent l’aide du CIRI ou de mandataires ad hoc.

Il existe désormais toute une palette de solutions, et il est difficile de prévoir laquelle sera adoptée. L’attitude des banques, notamment, est déterminante. Les dossiers de restructuration de LBos sont généralement traités au sein des équipes de banques de financement et d’investissement et  par leurs affaires spéciales, des équipes dédiées aux situations complexes. Les banques vont prendre position en fonction de leur appréciation de l’actif. Si elles estiment que les chances de redressement sont minces, elles peuvent souhaiter céder leurs créances, quitte à accepter une décote sur leur valeur. Si elles croient dans le potentiel de l’actif, elles prennent parfois elles-mêmes le contrôle, via une restructuration «lender-led» : elles convertissent alors une partie de leur dette en equity, abandonnent une autre partie, en faisant le pari que la société reprendra de la valeur. Si elles ne souhaitent ni revendre leur dette ni la convertir, elles peuvent parfois s’appuyer sur des mezzaneurs, qui souhaiteraient prendre les rênes de la société. Reste enfin la possibilité de faire entrer un nouvel acteur : soit un fonds classique ou un industriel intéressé par l’actif, qui profiterait de la transaction pour renégocier la structure financière et alléger la dette ; soit un fonds de restructuration qui apporterait une solution de portage : le fonds investit dans la société pour quelques années, selon des conditions de sortie prédéfinies. Ainsi la situation est mise en attente et la banque s’assure d’être bien servie si l’actif reprend de la valeur.

3 questions à... Guillaume Cornu, Associé Ernst & Young

Quelles sont les demandes actuelles du marché ?

Aujourd’hui les banques n’ont plus simplement besoin de business reviews indépendantes, comme cela pouvait être le cas à une certaine époque. Elles attendent désormais d’équipes comme les nôtres d’être force de proposition. Il ne s’agit donc plus seulement de revues financières : il nous faut proposer également une analyse du marché, pour évaluer la stratégie de la société et les axes d’amélioration, ainsi qu’une analyse opérationnelle permettant d’identifier des leviers d’amélioration del’ebitda et du cash par exemple. Ce travail permet de mettre en perspective le business plan du management, mais également d’envisager des scénarios alternatifs. Il peut s’agir de cessions de branche, ou de gestion en «run for cash» : ce mode de gestion consiste à maximiser la trésorerie, par exemple en repoussant certaines dépenses. Chacun de ces scénarios aboutira à une valeur d’entreprise différente, et donc à une structure de dette supportable différente.

Comment accompagnez-vous vos clients dans le contexte actuel ?

Nous avons adapté notre offre : plutôt que de vendre une mission de restructuration de façon indépendante, nous élaborons pour chaque client une offre qui réponde précisément à ses besoins. Le spectre d’intervention peut être très large : commercial due diligence, évaluation, restructuration, transaction services… Le contexte économique et les attentes des clients font que nous nous orientons de plus en plus vers des offres mixtes, de type «operational due diligence», incluant à la fois une analyse de l’historique, des perspectives, et l’identification de leviers de restructuration. Cette offre intégrée existe déjà en Angleterre, et nous impliquons nos collaborateurs d’Outre-Manche sur certains de nos dossiers. Nous souhaitons la renforcer en France.

Quelles sont les particularités de vos équipes dédiées ?

Pour traiter les problématiques de nos clients, nous avons créé un «hub restructuring». Il regroupe au sein d’une même équipe des compétences variées et complémentaires, les professionnels du restructuring et du cash management faisant office de chefs d’orchestre et coordonnant les autres expertises. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur des consultants opérationnels, des spécialistes en droit social, ou encore des experts comptables spécialisés. De plus, l’équipe Transaction Support compte de réelles expertises sectorielles qui apportent de la matière à notre analyse.

Enfin, Ernst & Young est le seul des «Big Four» à être réellement intégré au niveau international. Notre équipe française fait partie du pôle EMEIA (Europe, Moyen-Orient, Inde, Afrique), au sein duquel elle travaille en synergie avec les autres bureaux. Nos collaborateurs ont la même formation, la même stratégie, les mêmes méthodes. Il s’agit là pour nos clients, qui eux-mêmes sont souvent internationaux, d’une réelle valeur ajoutée.

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