Le premier semestre 2014 a connu un dynamisme exceptionnel des introductions en bourse au niveau européen qui a permis de lever quelques 37 milliards d’euros, soit quatre fois plus qu’au premier semestre 2013, selon Dealogic.
La France n’est pas en reste puisque les émetteurs tricolores ont levé 4,9 milliards d’euros, un record jamais atteint depuis 2001 ! Plusieurs fonds LBO ont profité de ce vent favorable qui a soufflé sur les marchés pour orchestrer la sortie boursière de leurs participations. Depuis fin 2013, Cinven et Carlyle avec Numericable, KKR avec Tarkett, ou encore Hellman & Friedman aux côtés de GDF Suez et Total avec GTT (Gaztransport & Technigaz) ont ouvert le bal des IPO orchestrées par les fonds d’investissement. Cet été, Elior a réussi à saisir cette fenêtre de tir pour renouer avec la Bourse.
En revanche, la volatilité des marchés dès le début de l’automne a abouti au report de l’IPO de Spie à la veille de son pricing. Moins avancés, les processus annoncés de cotation d’Elis et d’Europcar, tous deux contrôlés par Eurazeo, ont aussi été reportés en attendant un contexte plus propice. Il faut bien reconnaître que le cours de l’action de certaines sociétés venant du LBO et introduites en bourse en 2014 a faiblement performé. Par exemple, l’ancienne participation espagnole de Carlyle Applus a chuté de 30 % depuis sa cotation. Cette contre-performance a pu inquiéter certains investisseurs.
Du LBO au «format IPO»
Considérée comme la consécration ultime pour de nombreuses sociétés sous LBO, l’introduction en bourse n’en est pas moins une opération lourde pour les équipes des sociétés concernées et leurs actionnaires. La rencontre des deux mondes éloignés que sont la Bourse et le LBO accroit la complexité d’un processus boursier, déjà délicat à mener par une entreprise classique.
Tout d’abord, la structure d’un LBO est relativement complexe alors que le marché boursier exige une structure simple pour plus de lisibilité. L’entreprise candidate à une IPO doit ainsi procéder à de multiples opérations de restructuration (fusions de structures, conversions de titres etc.).
Par exemple, les actions de préférence ou les BSA, qui représentent habituellement la partie «ratchet» de l’investissement des managers, devront notamment être converties en actions ordinaires de l’entité cotée.
La valeur de référence pour effectuer ces restructurations doit en principe être identique au prix de l’IPO, ce qui suppose un débouclage du package au dernier instant de l’IPO (puisque ce prix n’est fixé qu’à la veille de sa réalisation). La société et ses conseils doivent donc souvent se livrer à des exercices d’équilibriste avec des calendriers tendus afin de réconcilier l’ensemble des contraintes.
Autre exemple, dans le cas d’une société sous LBO, on ne connaît le nombre total de titres composant le capital de la société, qu’au dernier moment, une fois le prix d’IPO connu. En effet, le prix d’IPO permet de déterminer l’impact dilutif des instruments financiers émis dans le cadre de l’opération LBO. Ceci rend complexe la présentation de l’offre et de sa taille au marché. Afin de résoudre cette difficulté, il a été envisagé une division du nominal de l’action permettant de rendre invariable le nombre de titres composant le capital, quel que soit le prix d’IPO.
Organiser la cession de titres des actionnaires de la société dans le cadre de l’IPO
Une autre spécificité des IPO de sociétés sous LBO concerne le droit de sortie conjointe dont les managers bénéficient souvent contractuellement. L’exercice de ce droit aboutit en effet à une vente par les managers d’une partie de leurs titres dans le cadre de l’IPO aux cotés des actionnaires financiers (et notamment dans le cadre de l’offre secondaire).
Or, les banques qui administrent ces offres secondaires sont moins familières des ventes d’actions émanant de personnes physiques. A fortiori quand ces personnes physiques se comptent en dizaines et en centaines. Pour corser l’exercice, les titres détenus au nominatif administré (notamment dans le cadre d’un PEA) nécessitent l’accord du teneur de compte du cédant pour la vente de ses actions.
Afin de gérer ces difficultés, certaines sociétés ont réfléchi à l’acquisition préalable par une banque des titres que les managers souhaitaient céder ou encore à un emprunt de titres auprès des actionnaires financiers permettant un décalage du calendrier de réalisation de la vente par les managers.
L’apprentissage des marchés financiers
L’apprentissage des marchés financiers par les managements des sociétés non-cotées est également un des points cruciaux de ce type d’opération, la réussite commerciale de l’opération pesant en partie sur la capacité du management à convaincre le marché au sujet de la société et ses perspectives.
Or, l’importance des aléas exogènes décorrélés de l’attractivité intrinsèque de la société est assez inhabituel pour des managements habitués à des processus de vente de gré à gré et à des discussions autour d’un rapport de due diligence et d’un business plan qui constitue la base de la valorisation dans les cas de sorties industrielle ou financière.
La gouvernance de la société à l’issue de l’IPO
Enfin, il convient d’adapter la gouvernance de la société aux exigences d’une société cotée. Si la présence des membres indépendants et de salariés actionnaires au sein du conseil d’administration est en général déjà assurée dans le cadre d’opérations LBO, les règles de parité homme-femme posent plus de difficulté, tant elles échappent encore aux préoccupations de la sphère du non côté.
Par ailleurs, les délégations financières de l’assemblée générale doivent être mises en place préalablement à l’IPO, de même que d’éventuelles défenses anti-OPA. Le changement de philosophie de la règlementation boursière sur ce dernier sujet, avec notamment l’abandon du principe de neutralité du conseil en cas d’OPA, autorise une créativité nouvelle en la matière.
Questions à… Jean-François Louit, Associé et Caroline Lan, avocat, Scotto & Associés
Comment voyez-vous l’évolution du marché des IPO en sortie de LBO pour 2015 ?
L’année 2014 aura été une année pleine pour notre cabinet en matière d’IPO en sortie de LBO. En particulier, notre équipe a été impliquée dans les opérations GTT, Elior et Spie.
Pour les opérations qui verront le jour en 2015, c’est néanmoins encore l’inconnu. De nombreuses opérations sont dans les tuyaux mais les équipes «capital market» des banques sont relativement prudentes quant à une franche réouverture des marchés l’année prochaine. A cet égard, la profondeur relative du marché français est toujours un sujet pour les sociétés désirant s’introduire en bourse.
En tout état de cause, les techniques permettant de sortir une société sous LBO en bourse dans les meilleures conditions (voir article ci-contre) ont été largement éprouvées cette année dans le cadre des différentes opérations réalisées et nous pensons que certaines opérations pourraient sortir dans des calendriers relativement serrés.
Plus généralement, l’IPO n’est pas une solution par défaut. C’est une voie pour des sociétés de grande qualité, disposant de perspectives d’activité soutenues, d’une gouvernance adaptée et d’une capacité à communiquer au marché de manière régulière et rigoureuse, et ce en vue de leur valorisation à long terme par le marché.
Quelles sont les spécificités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Le positionnement de Scotto & Associés nous place naturellement aux côtés des entrepreneurs, des fondateurs et des dirigeants d’entreprises et, dans le cadre des opérations LBO, du management.
Notre équipe corporate, qui s’occupe des opérations boursières, est issue des deux cultures de la bourse et du non-coté. Elle est donc à même de faire la jonction entre l’univers du coté et celui du private equity.
Grâce à ces expertises et l’appui des autres équipes du cabinet, Scotto & Associés figure parmi les principaux cabinets de la place à pouvoir accompagner, sur l’ensemble des sujets juridiques et fiscaux, les sociétés et leur management dans le cadre d’une sortie de LBO qu’elle soit industrielle (comme par exemple la cession de Converteam à GE) ou boursière et ce quelle que soit sa taille.
En outre, nous sommes de plus en plus impliqués sur la mise en place de plans d’actionnariat salarié, dans différents contextes, notamment dans le cadre d’une IPO ou d’un LBO.