Le marché des sorties de LBO 2013 a une nouvelle fois été compliqué. Il s’est divisé en deux : d’un côté les beaux actifs qui ont continué à susciter la concurrence et à attirer les financements (Allflex, OGF, Maisons du Monde, SMCP), de l’autre les cibles moins attrayantes pour avoir subi les effets de la crise et n’avoir pas su se développer à l’international. Analyse d’un an d’activité par quelques spécialistes du secteur.
Etat des lieux du marché
Martin Naquet-Radiguet : 2013 a été dans la continuité de 2012, avec une trentaine de LBO de plus de 100 millions d’euros, ce qui est relativement peu alors que le financement était là. Certains beaux actifs ont suscité un engouement important, avec une forte concurrence entre investisseurs entrants et des prix élevés. Il faut d’ailleurs préciser que quand on parle de bel actif, cela signifie aujourd’hui le plus souvent qu’il n’est pas majoritairement exposé à la France. Il y a eu beaucoup de LBO de nouvelle génération, ce qui prouve qu’il y a de l’argent à mettre au travail sur des actifs sélectionnés. En revanche, très peu d’actifs de grande taille ont fait l’objet d’une sortie industrielle. Il y a eu Permaswage, cédé par Bridgepoint à Precision Castparts, alors que Nocibé racheté par Douglas est finalement plus une sortie fonds, mais c’est à peu près tout. La nouveauté de ces derniers mois est l’arrivée des IPO, attendue depuis longtemps, mais qui n’a finalement concerné que deux très gros actifs, Numericable et Tarkett. Par ailleurs, force est de constater que cette année encore un certain nombre de sorties souhaitées n’ont pas eu lieu ou prennent beaucoup plus de temps et dans des configurations plus compliquées que prévu.
Jérôme Jouhanneaud : Il y a effectivement eu peu de sorties industrielles cette année. Dans un marché avec peu de beaux actifs, les industriels sont souvent moins bien placés car moins réactifs que les fonds dans les processus d’enchères, voire dans certains cas n’y sont pas conviés. Les fonds sont beaucoup plus réactifs et compétitifs en termes de process et ont pour atout leur capacité à délivrer vite et avec certitude. Ils l’emportent souvent grâce à cet avantage, malgré l’éventualité d’un prix supérieur de la part d’un industriel qui peut présenter un risque d’exécution, que ce soit pour des raisons réglementaires ou liées aux modalités de prise de décisions. Nous avons ainsi vu plusieurs processus de vente remportés par des fonds alors même que des industriels étaient mieux disant.
Alexandre Motte : D’ailleurs, la plupart des sorties industrielles réalisées par Ardian cette année ont été réalisées de gré à gré, sans processus concurrentiel. Nous avions directement identifié que ces sociétés avaient des acheteurs industriels naturels, et dans certains cas, l’opération a été rapide. Lorsque nous sommes devenus actionnaires d’Arkadin en 2012, nous n’avions pas l’intention d’en sortir rapidement, mais le projet de NTT Communications, un groupe de télécoms japonais, faisait beaucoup de sens industriel pour le management et l’entreprise. Le fait que NTT connaisse bien la situation lui a permis d’être très efficace dans l’exécution de la transaction, compensant dans ce cas le fait que les acheteurs industriels sont souvent perçus comme moins réactifs que les fonds d’investissement.
Nicolas Barberis : Compte tenu de la plus grande disponibilité de la dette cette année, notamment pour les actifs ayant une exposition internationale, et de l’abondance de liquidité dans les fonds large caps, ces derniers sont en mesure de rivaliser avec les industriels, même en termes de prix. L’exemple d’Allflex le démontre. C’est un process dans lequel les industriels étaient présents et pouvaient assurer une rapidité d’exécution similaire à celle des fonds. Mais la liquidité du marché du financement était telle que la possibilité pour les industriels de mettre en avant des synergies n’a pas suffi pour s’imposer. C’est particulièrement vrai sur ce segment, alors que sur de plus petites opérations, obtenir des financements est plus difficile. Paradoxalement, lever 70 millions de dette est aujourd’hui plus compliqué que d’emprunter 500 millions avec un levier de cinq fois l’Ebitda sur une cible bien connue du marché.
Pierre Rispoli : En même temps, les fonds ont désormais une approche très stratégique de leurs investissements. Ils sont devenus très actifs dans l’organisation de rapprochements industriels et deviennent ainsi structurants dans la consolidation de secteurs fragmentés. Pour NiXEN, c’est même à la base de notre politique d’investissements : participer à la consolidation sectorielle de secteurs en fédérant un certain nombre d’acteurs. Et je pense que nous devrions assister à de plus en plus de rapprochements entre actifs détenus par des fonds pour former des ensembles structurants à l’échelle de leur secteur d’activité.
Thomas Forschbach : Les deals visant des large caps sont très différents des opérations de taille plus petites. Hormis quelques rares actifs très convoités, la concurrence sur un certain marché d’actifs de grande taille a été moindre que par le passé et souvent il n’y a pas eu tant de candidats que cela à la fin.
Jérôme Jouhanneaud : SMCP et Maisons du Monde sont de très beaux actifs sur lesquels le management a choisi, avec les fonds vendeurs, de privilégier la sortie par LBO sans vouloir pour autant écarter les industriels du processus. La volonté de réinvestissement du management dans la nouvelle opération ainsi que la disponibilité d’un financement high yield a finalement favorisé les fonds face aux industriels. C’est donc naturellement que le deuxième tour des enchères s’est joué exclusivement entre fonds.
Thomas Forschbach : Il y a cinq ans, une concurrence très vive entre de nombreux candidats, qu’ils soient fonds ou industriels, était la règle, dans les gros dossiers.
Eric Dejoie : Le segment du small cap ne répond pas du tout aux mêmes considérations. L’absence de croissance en France est la combinaison d’une grande partie de l’économie qui ne croît pas mais également d’une petite partie qui croît parfois même très vite. Il existe donc encore beaucoup de petites entreprises en croissance et bien positionnées susceptibles d’intéresser des industriels. Chez MBO Partenaires, sur cinq à dix cessions par an, une sur deux est faite à un industriel parmi ceux qui continuent à procéder à des acquisitions stratégiques. Ajoutons que le LBO dans le small cap ressemble de moins en moins au LBO classique. Le terme capital-transmission correspond mieux à l’activité. Le levier est une pure modalité technique et beaucoup d’opérations se font d’ailleurs aujourd’hui quasiment sans levier. En small cap, le fait est que la dette a toujours été difficile à trouver, ce qui a d’ailleurs aussi protégé ce segment des excès. Un club deal avec des banques locales n’a jamais permis de trouver des multiples supérieurs à trois fois l’Ebitda en dette.
Le marché du small cap reste dynamique. La différence ne se fait pas uniquement sur les prix proposés mais d’abord sur les projets de développement et la vision stratégique partagée avec les dirigeants. Les sociétés qui ont continué d’investir, dans l’innovation, à l’international, s’en sortent assez bien.
Pierre Rispoli : En fait, le marché des sorties est devenu très segmentant. Les actifs de qualité ayant démontré leur résilience durant la crise et affichant une vraie stratégie de croissance trouvent leur liquidité. Ceux qui ont eu des parcours plus heurtés durant la crise n’en trouvent pas et ce n’est pas qu’une question de prix. NiXEN a eu la chance d’accompagner à ce titre Maisons du Monde pendant deux LBO successifs. La société est alors passée de 125 à 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en moins de huit ans et présente encore beaucoup de potentiel. Maisons du Monde s’est développée en France, en Espagne et en Italie dans le secteur de l’ameublement et de la décoration pourtant considéré comme difficile, mais avec une vraie vision d’entrepreneurs et de vrais relais de croissance notamment sur le multicanal. Il y a donc une continuité et un projet autour d’une vision managériale et d’une vraie prise de risque à l’international. C’est d’ailleurs un fonds américain, pourtant réputé ne pas être insensible à la situation de la consommation en Europe, qui a repris la société pour déployer cette stratégie encore plus fortement. C’est bien la preuve que derrière les LBO de croissance on trouve de très beaux parcours d’entreprises.
L’intérêt d’une succession de LBO
Georges Sampeur : B&B Hôtels en est à son troisième LBO et l’histoire peut continuer. Nous avons toujours eu une vision stratégique de notre développement. Le chiffre d’affaires de la société d’il y a dix ans correspond à son Ebitda d’aujourd’hui. C’est donc un LBO de croissance, avec un développement à l’international, des risques pris sur certains marchés, comme en Allemagne. La France ne représente plus que 70 % du chiffre d’affaires contre 95 % à l’époque, et sera à 50 % d’ici trois ans.
Nous avons préféré continuer avec un fonds car nous voulions garder notre indépendance. De plus, la société était à l’origine assez consommatrice de capitaux car elle fait du développement immobilier. C’est moins un sujet depuis que des partenaires immobiliers nous accompagnent.
Bertrand Grunenwald : Le LBO présente des contraintes de montages financiers qui poussent à sortir à un moment donné car il y a trop de dette, qu’on ne peut pas la refinancer, qu’il faut rendre de l’argent aux actionnaires. Ces considérations sont totalement extérieures à l’entreprise et le management se retrouve mobilisé sur la préparation d’un business plan qui ignore la déflation actuelle et tente de présenter la mariée dans un contexte incertain. Il faut se poser la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux faire d’autres montages financiers au-dessus pour ne pas remettre en risque un certain nombre de sociétés. Interrogeons-nous sur l’intérêt de poursuivre des processus de sorties sur la base de business plans dans un contexte économique aléatoire.
Pierre Rispoli : En fait, on se rejoint sur le fait que le LBO n’est pas éligible à toutes les sociétés. NiXEN a fait six cessions de LBO au cours des deux dernières années, dont Saverglass, Maisons du Monde, Gerflor, etc. Si l’on demande aux dirigeants de ces sociétés les vertus de la deuxième ou troisième opération successive, ils vous diront probablement que ces opérations correspondent à des stades différents, qu’elles ont permis de faire croître l’entreprise, d’organiser la gouvernance, de faire monter un rang N + 1 de dirigeants, de staffer l’entreprise pour absorber cette croissance, d’aller à l’international, etc. Si nous voulons avoir de très belles ETI, ayant les moyens de leur croissance et de leur ambition légitime, il faut à leurs côtés des fonds puissants capables de les accompagner à différentes étapes de leur parcours. Il y a de très belles histoires de LBO successifs.
Thierry Candelier : Le LBO de croissance doit en effet être mis en avant bien que ce soit une niche. J’appellerais cela plutôt du capital-développement majoritaire. Mais l’effet de levier a souvent été utilisé à tort et à travers. Est-ce que, dans certaines situations de LBO tertiaires ou quaternaires, les liquidités auraient pu être utilisées à autre chose que le paiement des intérêts, ce qui aurait permis le développement de plus grosses ETI ? Dans des marchés où le LBO est moins présent, comme en Allemagne, il existe des ETI, plus solides, avec plus de fonds propres.
Eric Dejoie : Plusieurs études ont déjà montré que les sociétés sous LBO croissaient plus vite que les entreprises traditionnelles. Le facteur discriminant n’est pas l’effet de levier mais bien la qualité du projet. Toutes les études montrent qu’en moyenne l’arrivée d’un investisseur se traduit par une accélération de la croissance du chiffre d’affaires et des emplois des entreprises.
La préparation de la sortie
Martin Naquet-Radiguet : Avant toute chose, il faut d’abord s’assurer qu’il peut y avoir une opération au prix de marché. On explique souvent le peu d’opérations par l’absence d’alignement des attentes des vendeurs et des prix proposés, donc il faut déjà vérifier que cette première condition peut être remplie. Ensuite, dans un contexte de sorties plus compliquées que par le passé, que ce soit dans des processus d’enchères ou des transactions de gré à gré, il faut une présentation claire de la stratégie, un business plan robuste qui ait été challengé, et des travaux de VDD appropriés. A ce sujet, le «DD» est bien plus important que le «V», faute de quoi cela peut considérablement nuire au processus de cession, voire même le condamner. La due diligence doit être un travail indépendant de mise en perspective. Elle ne doit pas «travestir» la mariée mais simplement lui donner le bon éclairage.
Alexandre Motte : Chez Ardian, nous commençons à réfléchir à la sortie au moment où l’on investit. Une discussion est engagée, avec le management et notre comité d’investissement, sur le mode de sortie le plus naturel pour chaque société. Une fois la décision prise, nous travaillons alors dans une direction cohérente avec le ou les modes de sortie les plus probables.
Par exemple, si une sortie par IPO est prévue, nous examinons avec attention les autres sociétés du secteur auxquelles nous pourrions être comparés dans trois ou quatre ans. S’il y a des zones géographiques dans lesquelles la société n’est pas encore implantée, il faut probablement prévoir un plan de développement. Si la sortie est plutôt industrielle, il faudra s’attacher à ce que les acquéreurs qui pourraient s’intéresser à la société dans trois, quatre ou cinq ans, soient tenus au courant de ce qu’elle réalise de positif pendant ce laps de temps.
Le plus important est que le management et l’actionnaire soient d’accord sur le projet industriel pendant la durée du LBO et sur la sortie prévue. Dans une de nos sociétés par exemple, le management a lui même communiqué aux employés, au moment où nous sommes rentrés au capital, que l’IPO dans quatre ou cinq ans était clairement la sortie privilégiée par le management et les actionnaires.
Jérôme Jouhanneaud : Le partage d’informations est en effet fondamental pour préparer une sortie. Si la directive AIFM ne va pas jusqu’à imposer au fonds acquéreur d’annoncer les modalités de la future sortie, un grand nombre de détails doivent tout de même être révélés comme les intentions du fonds relatives à l’activité de la société et les possibles répercussions sur l’emploi. Il s’agit, pour la plupart, du même type d’informations que celles devant être transmises dans le cadre de la procédure de consultation du comité d’entreprise de la cible. D’autres informations beaucoup plus sensibles, comme celles relatives au financement de l’acquisition, doivent être transmises à l’AMF et aux porteurs de parts du fonds acquéreur.
Georges Sampeur : Même si la directive AIFM ne l’impose pas expressément, il vaut toujours mieux communiquer avec les salariés de l’entreprise. Dans le cas de B&B Hôtels, nous avons surtout communiqué sur la stabilité du management, la stratégie mise en place et la croissance de l’entreprise. Nous avons aussi expliqué que la rotation naturelle des partenaires financiers de l’entreprise ne remettait pas en question la stratégie et les objectifs.
Nicolas Barberis : Le management s’est professionnalisé. Une sortie de LBO est souvent plus facile sur le plan du processus préparatoire qu’une vente industrielle. L’équipe est mieux préparée et sait peut-être aussi mieux rebondir si jamais le plan prévu ne fonctionne pas. Le manager est bien sûr focalisé sur la gestion de son entreprise, mais il sait qu’il a un horizon de temps à l’issue duquel il devra écrire une nouvelle histoire capitalistique.
Pierre Rispoli : Se préparer à la cession, c’est par construction en 2013 être flexible. Depuis un peu plus de cinq ans, le contexte économique et financier est compliqué, ce n’est pas nouveau ! Les managers des sociétés comme les fonds ont donc eu le temps de s’habituer à être mobiles dans leurs réflexions pour s’adapter à cette conjoncture fluctuante. Les plans prévus au moment de l’investissement ne sont pas toujours ceux retenus à la sortie. Mais une chose est sûre, la meilleure façon de préparer la sortie c’est de conserver et développer dans l’entreprise les relais de croissance de demain et cela passe par l’investissement, l’international et l’innovation.
Et quand on a fait cela pendant quatre ou cinq ans, alors il y a des sorties plus simples, des mariages plus naturels qui sont dans la continuité de la stratégie de la société. Certes, il n’y a peut-être plus quatre, cinq ou six concurrents pour un deuxième tour de process de cession, mais le plus important est que les potentiels acquéreurs soient légitimes par rapport à l’histoire que l’on a construite avec le management et puissent capitaliser sur les relais de croissance créés.
Thierry Candelier : Pour reprendre l’image de la mariée, je pense qu’elle doit être sexy tous les matins. L’époque où les plans pouvaient être prévus cinq ans auparavant est bel et bien terminée. L’adéquation entre le management et l’actionnaire financier apporte de biens meilleurs résultats qu’une société seule et livrée à elle-même. Le challenge n’est pas le même.
L’apport du financier est donc extrêmement pertinent.
La renégociation de dette préalable à la vente
Bertrand Grunenwald : Force est de reconnaître le rôle positif des sponsors dans la majorité des cas. Mais à la sortie, des problèmes peuvent se poser sur le montant de la dette. Si tous les services de l’entreprise se sont mobilisés pour parvenir à une histoire qui finalement ne fonctionne pas, la société peut avoir été beaucoup abîmée. Le sponsor doit alors se demander s’il doit faire prendre un nouveau risque à l’entreprise ou s’il doit se lancer in bonis dans une restructuration de la dette. Une opération d’augmentation de capital peut être lancée, avec des partenaires qui vont diluer l’actionnaire, avec des banques qui vont rentrer au capital même si elles n’aiment pas cela, pour revenir à des leviers normaux et réussir l’opération.
Thomas Forschbach : Aujourd’hui, il y a des acheteurs pour des LBO secondaires, mais ils sont devenus plus prudents, plus orientés vers la croissance, plus exigeants, cherchant des opérations de croissance plutôt que simplement le financier. Mais nous disposons aujourd’hui à nouveau de la gamme complète pour les sorties de LBO. La sortie industrielle est possible, il y a des acheteurs. Il existe des outils purement financiers : le refinancement, avec un marché du high yield très actif. Pour la première fois depuis longtemps, il n’a d’ailleurs pas connu de fermeture en cours d’année. Il y a le marché des IPO qui revient. Il y a également des outils nouveaux pour les opérations d’une certaine taille : le financement aux Etats-Unis, ou le recours aux fonds de dette.
Jérôme Jouhanneaud : Nous avons d’ailleurs rencontré des situations dans lesquelles les fonds de dette sont venus challenger des banquiers historiques du groupe cible, alors même que ces derniers étaient, compte tenu de leur connaissance de l’actif, bien mieux placés pour l’emporter. Les exemples ont été nombreux cette année, surtout sur des opérations mid cap. Sur le large cap, le high yield a été très actif. Nous avons par ailleurs été sollicités sur des schémas de financement à mi-chemin d’un staple financing, avec la mise en place de dettes visant à refinancer l’ancienne dette d’acquisition du groupe, sans clause de changement de contrôle, pour éviter au nouvel acquéreur d’avoir à refinancer l’endettement existant. Il peut ainsi se focaliser sur le seul financement du prix d’acquisition des titres.
Pierre Rispoli : La disponibilité croissante des fonds de dette a en effet été très marquée en 2013. On compte aujourd’hui une douzaine de fonds de dette assez actifs, pour des quantums de dette disponible tout à fait accessibles à des sociétés de small/mid cap, pour des montants de 10 à 50 millions d’euros pouvant aller jusqu’à 150 millions d’euros. Il s’agit d’un véritable outil complémentaire dans les opérations, par rapport au pool historique bancaire qui reste malgré tout très présent sur les actifs de qualité dont il connaît le risque. Ces fonds de dette sont des solutions dont on ne disposait pas il y a encore deux ou trois ans.
Thierry Candelier : Le déchirement du pool bancaire au moment de prendre des décisions est toujours un véritable risque. Est-ce que le fait d’avoir un interlocuteur unique, un fonds de dette, est sécurisant pour des renégociations futures ?
Jérôme Jouhanneaud : C’est effectivement un atout pour les dirigeants d’entreprises et, plus généralement pour les actionnaires. Sur le refinancement d’Exclusive Networks survenu cette année en prévision des nombreux projets de build-up du groupe, l’argument de l’interlocuteur unique a très clairement joué en faveur du fonds de dette. Ce refinancement a ainsi permis au groupe de réaliser près de trois build-up en moins de six mois.
Bertrand Grunenwald : Dans le dossier Novasep, la société a été refinancée par le recours au high yield en 2010. Malheureusement, face à un emprunt à un taux élevé, la société n’a pas survécu longtemps. Elle a été reprise par les porteurs de high yield qui ont fait un debt to equity swap. Ils doivent tenir trois ans dans cette situation, sans même avoir d’équipe corporate en France ni en Europe. C’est aussi une des conséquences de cette multiplicité des outils.
Thomas Forschbach : Il faut choisir le bon.
Alexandre Motte : Il est également intéressant de noter que le sponsor vendeur cherche de plus en plus à faciliter le travail du futur acheteur. Cette tâche prend plusieurs dimensions : des discussions plus en amont entre le management de la société et les futurs acheteurs, le plus souvent avec la bénédiction de l’actionnaire en place ; un travail préparatoire fait par la société en vue de l’émission d’une nouvelle dette en intégrant par exemple la préparation d’un rating pour accélérer l’émission éventuelle d’un high yield, qui peut même aller dans certains cas jusqu’à rendre la dette «portable» pour le prochain actionnaire. Le sponsor vendeur va donc éduquer les futurs acheteurs éventuels, mais aussi les banquiers, les fonds de dette et tout l’écosystème qui sera intégré dans les réflexions stratégiques en amont autour de l’entreprise.
Jérôme Jouhanneaud : L’implication du management dans la négociation de la nouvelle dette, en particulier en cas de mise en place d’un staple financing, est effectivement clé pour le calibrage des Capex et des ratios. Nous observons pourtant que le calendrier extrêmement serré des processus de vente ne permet pas toujours au management d’y consacrer le temps nécessaire.
Thomas Forschbach : Depuis quelques années, il y a une prise de conscience que pour bien sortir, la confiance est importante. Lors de la préparation d’une vente, on parle beaucoup de ce qu’il faut faire pour la créer, au niveau de la cible mais aussi envers le vendeur lui-même, et le sérieux de son process.
Eric Dejoie : Une leçon de la crise a tout de même été tirée : les acteurs ont fait le constat qu’on ne créait plus de valeur uniquement par la baisse des taux et l’augmentation des multiples, mais bien plus par la croissance du chiffre d’affaires et de la rentabilité des entreprises. Préparer une entreprise à la vente, c’est au fond préparer une equity story, c’est-à-dire offrir à l’entreprise un projet crédible de développement à moyen terme. Lorsqu’un processus échoue, c’est certes parce qu’il n’y a pas eu d’accord sur le prix mais surtout parce que l’equity story n’est pas suffisamment convaincante. Quand l’acquéreur y croit, les modèles d’ajustement de prix permettent généralement de converger.
Martin Naquet-Radiguet : Les investisseurs ne sont pas là pour faire une course au contrat ou au prix, ils ont une approche avant tout business. Ils doivent avoir confiance dans l’équipe de management, dans l’histoire qui est en train de s’écrire et s’accorder avec le management sur les prochains chapitres qui restent à écrire. Or cette confiance ne se crée pas dans les trois mois de process de vente, mais 18 mois avant au minimum.
La vente par appartement
Martin Naquet-Radiguet : L’option de vendre par appartement est explorée quand la cession totale n’est pas possible, et on est alors dans des cas où l’histoire, l’equity story, ne s’est pas déroulée comme prévu.
Bertrand Grunenwald : Pendant ces années de crise que nous venons de vivre, il a pu être nécessaire de faire des spin-off dans un LBO, pour maximiser la valeur de la société.
Pierre Rispoli : Il est difficile de généraliser l’intérêt ou non de la cession par appartement. Ce ne sont que des cas particuliers. Mais ce que je sais c’est que la crise a eu pour vertu d’éliminer le LBO patrimonial, c’est-à-dire le LBO où il n’y a pas de croissance mais juste l’amortissement d’un effet de levier. Ce LBO est invendable à la sortie car il n’y a pas de parcours complémentaire à écrire. En revanche, la crise a fait apparaître toute une série de LBO vertueux : des LBO de croissance dans des secteurs qui sont en train de se fédérer autour de leaders et que les sponsors accompagnent dans des build-up successifs pour créer des plateformes européennes. Ils sont nécessaires pour apporter des tailles critiques à un grand nombre d’ETI françaises. Par construction, ces LBO sont en général plutôt à l’acquisition qu’à la vente par appartement !
Jérôme Jouhanneaud : Les build-up sont effectivement fortement créateurs de valeur lorsqu’ils suivent une logique de consolidation et une stratégie industrielle. Cela requiert pour les fonds qui soutiennent ces stratégies une période d’investissement parfois un peu plus longue, mais qui au final crée énormément de valeur. A l’exception de cas isolés qui ne sont pas nécessairement liés à la crise, nous avons donc plutôt observé l’inverse du phénomène de vente par appartement.
Alexandre Motte : Je ne suis pas sûr que la revente séparée de différentes business units soit synonyme d’échec. La stratégie de vendre une partie de la société que l’on considère comme «non-core», pour se focaliser sur le reste de l’activité et ainsi se donner la possibilité de renforcer le cœur de métier par des acquisitions en France ou à l’international, est parfois une stratégie industrielle qui fait sens.
Georges Sampeur : S’il s’agit d’une stratégie pro-active, effectivement.
Martin Naquet-Radiguet : Cependant les cessions par appartement au bout de cinq ou six ans de détention correspondent rarement à cette configuration !
Eric Dejoie : Il n’y a pas de position univoque. Soit c’est une opération d’arbitrage comme le font d’ailleurs les groupes industriels en permanence : vendre des actifs, en revendre d’autres, recomposer son organigramme en fonction de la stratégie, etc. Il y a aussi bien sûr des opérations défensives voire de sauvetage. Mais toutes les configurations sont possibles dans les opérations menées par des fonds de private equity, y compris les plus dynamiques et les plus créatrices de valeur répondant à une stratégie bien maîtrisée.
Les sorties par IPO
Nicolas Barberis : Le marché boursier a tendance à s’ouvrir. Tous les fonds regardent la possibilité de faire un IPO. Mais sans vouloir être négatif, toutes les entreprises ne parviendront pas à la bourse car il existe une grande sélectivité des marchés financiers, particulièrement en France. Un certain nombre de LBO de grande taille ont un niveau d’endettement rendant difficile l’entrée en bourse car la partie primaire de l’IPO ne suffira pas à réduire l’endettement à un niveau acceptable par le marché. Un actif comme Numericable était un bon profil pour l’IPO tant en termes de levier, que de secteur. Le marché boursier s’avère souvent tout aussi sélectif qu’un acquéreur dans une enchère. L’outil existe, mais je ne suis pas sûr qu’il soit tellement plus simple qu’une cession en LBO secondaire.
Bertrand Grunenwald : Je ne pense pas que l’on puisse réellement parler de sortie par le marché car les quantums de capital mis sur le marché restent très faibles. Il s’agit plutôt de sécuriser l’equity restant.
Georges Sampeur : Il ne s’agit jamais de sortie à 100 % du fonds.
Eric Dejoie : Rappelons que les IPO se font prioritairement au travers de levées de capitaux plus que par cessions de titres.
Alexandre Motte : L’IPO est davantage une option de sortie pour les très grandes sociétés que pour celles de taille moyenne car la bourse n’est pas nécessairement le meilleur outil pour ces dernières : elle impose en effet des obligations lourdes et n’offre pas toujours une liquidité importante. Le marché semble effectivement frémir avec deux IPO en France, mais il ne faut pas non plus se réjouir de si peu : dans notre activité de co-investissement, nous avons réalisé aux Etats-Unis 11 sorties depuis 2006 dont 7 étaient des sorties par IPO (les 2/3 donc). Je pense qu’il n’est pas idéal pour les sociétés de recourir systématiquement à des LBO secondaires, tertiaires, quaternaires… La vocation de notre fonds d’investissement est d’aider nos sociétés à croître dans une période où les relais de croissance sont mis en œuvre de manière plus efficace de manière privée. Lorsqu’elles atteignent une certaine taille, l’idéal est alors d’envisager une sortie en bourse. Il est un peu frustrant de constater que le marché français des IPO n’est pas plus dynamique sur une longue période.
Thomas Forschbach : En France, l’IPO a toujours été une option marginale et il y a à ceci des raisons objectives. À Londres, il ne se passe pas une semaine, en ce moment, sans que nous ne discutions d’options IPO avec des firmes de private equity. En France, il n’y a pas la même liquidité.
Eric Dejoie : Effectivement, il n’y a pas assez d’investisseurs. Mais, par ailleurs, la part de l’equity en général dans les structures des actifs des principaux financiers que sont les compagnies d’assurance est très faible. Et je n’évoque même pas la part totalement marginale du non-coté !
Georges Sampeur : Dans les structures sous LBO, l’IPO devrait toujours faire partie des options possibles. C’est à mon sens une excellente discipline pour l’entreprise de continuellement se préparer à cette option. Cela a des incidences positives sur la qualité du reporting et sur l’état d’esprit du management de l’entreprise. A ce titre, je rencontre régulièrement des analystes du secteur hôtelier, et ce même alors que notre société n’est pas cotée, mais ainsi ils nous connaissent, nous leur apportons un benchmark par rapport aux sociétés cotées et finalement ceci assure à l’entreprise une notoriété qui peut s’avérer utile et intéressante le cas échéant. L’IPO est une option, au même titre qu’un LBO quaternaire pour lesquels nous rencontrons régulièrement des fonds d’investissement. Notre rôle est donc de nous faire connaître auprès de l’ensemble des acheteurs potentiels.
Bertrand Grunenwald : Le marché des actions est effectivement extrêmement porteur, les valorisations de sociétés non cotées comparables sont donc très souvent désavantagées.
La logique peut être d’introduire même une partie minoritaire du capital en bourse en considérant que l’intégralité de la valorisation de la société sera appréciée par rapport au marché boursier. Le risque est alors de créer un phénomène d’overhang sur le titre car si l’on introduit une partie du capital en bourse et que des fonds d’investissements sont pour leur part sortants à court terme pour le solde, l’action pourrait chuter fortement à l’occasion d’un retournement général du marché.
Pierre Rispoli : Nous revenons à la question de la profondeur du marché. C’est pour cette raison que l’IPO n’a jamais été une option très regardée. Si le marché avait davantage de profondeur, l’IPO serait davantage envisagée par les fonds.
Vision pour 2014
Thomas Forschbach : Le marché en 2013 a connu un faible niveau de transaction et très peu de transactions d’envergure. Mais, notons que le marché a été stable. Il y a cependant des menaces macro-économiques majeures dont on ne parle plus aujourd’hui mais qui existent toujours et risquent même de s’aggraver. Si ces risques ne se matérialisent pas je pense que le niveau de transactions en 2014 sera comparable à celui de 2013 et peut-être légèrement supérieur car le temps passant, certaines opérations n’auront d’autre choix que de sortir. Il y a déjà eu de nombreuses opérations de refinancement et de restructuration, elles devraient donc diminuer en 2014. Le marché des sorties M&A devrait, lui, être en légère augmentation. Les grandes restructurations sont pour la plupart derrière nous.
Nicolas Barberis : Je partage cette appréciation. Cette note d’optimisme réside dans le fait que pour la première fois depuis trois-quatre ans, l’année n’a pas été segmentée en deux avec des financements disponibles seulement sur les six premiers mois, entraînant souvent une course afin de boucler l’intégralité des dossiers avant le mois d’août, pour finir par une pause jusqu’à la fin de l’année. Nous sommes aujourd’hui en novembre et c’est donc la première fois depuis longtemps que les financements demeurent disponibles en fin d’année. Si cette situation se maintient, 2014 devrait être une bonne année.
Alexandre Motte : Il est important que nous arrivions l’année prochaine à un consensus entre l’ensemble des acteurs sur la tendance générale de l’économie à un horizon trois-quatre ans. Certains processus de vente ont échoué cette année car les vendeurs gardaient en tête que la situation allait s’améliorer alors que les acheteurs pensaient qu’elle se dégraderait. Aujourd’hui, il semble qu’un consensus s’installe sur un léger retour à la croissance de la zone euro. Cette vision commune va permettre de rapprocher les attentes des prix des vendeurs de celles des acheteurs. Nous nous dirigeons vers une convergence des vues, ce qui est une bonne chose.
Pierre Rispoli : Je trouve qu’il est difficile de généraliser alors que nous évoquons des sujets de microéconomie. Bien évidemment nous dépendons d’une évolution macroéconomique, mais je reste optimiste pour notre industrie et les sociétés que nous accompagnons quand je vois les très belles sorties faites cette année et le travail considérable réalisé par les fonds et les managements pour trouver dans ces sorties de vraies réponses industrielles pour leur histoire future. Je trouve que notre industrie se concentre véritablement sur ces points et que les acteurs sont de plus en plus pertinents dans les réponses apportées à l’occasion de la sortie, ce qui devrait faciliter les cessions. J’ai donc envie d’être confiant !
Jérôme Jouhanneaud : Notre cabinet est actuellement assez actif avec notamment de très belles acquisitions large et mid cap en préparation pour lesquelles les financements ont d’ores et déjà été sécurisés. Il est peu probable que le bilan plutôt positif que nous avons dressé à l’occasion de cette table ronde puisse être brusquement remis en cause, mais il est difficile d’y voir à plus de six mois.
Sans pouvoir opiner sur l’évolution macroéconomique, ma crainte est que nous retombions dans la hantise paralysante de la nouvelle réforme et remise à plat fiscale annoncée par le gouvernement. Ce chiffon rouge provoquerait un attentisme général, probablement pour de mauvaises raisons, notamment de la part des acteurs étrangers souhaitant investir en France.
Bertrand Grunenwald : Je ne partage pas votre optimiste car le taux de départ de France des dirigeants commence à devenir alarmant. Il s’agit de véritables délocalisations d’états-majors. La seule incertitude est de savoir si ce phénomène va encore s’amplifier si le climat reste le même. Je ne peux pas imaginer que cela conduise à une quelconque amélioration l’année prochaine.
Thierry Candelier : Fin 2012, début 2013, j’ai lancé un modeste fonds d’investissement de 10 millions d’euros dont les investisseurs sont exclusivement des chefs d’entreprises français créateurs d’entreprises et dont les deux tiers sont encore en exercice. Notre souhait était de saisir l’opportunité d’investir dans le marché de l’hôtellerie de plein air, donc en quelque sorte de l’immobilier amélioré. Malgré une situation difficile, notre pays a du ressort et je note effectivement une certaine stabilité. Nous pouvons être optimistes car si la stabilité est présente, nous pouvons alors commencer à construire.
Eric Dejoie : Le sujet de la fiscalité n’est effectivement pas anodin et la série que nous avons connue se traduit malheureusement par des effets négatifs sur l’investissement.
Je partage néanmoins cet optimisme modéré. Nous avons tout de même en France beaucoup d’entrepreneurs de talent qui créent de la valeur comme le montrent de nombreux exemples récents de success stories réparties dans tous les secteurs de l’économie. Elles doivent nous inspirer et nous donner confiance.
Martin Naquet-Radiguet : Je suis, moi aussi, raisonnablement optimiste. J’espère qu’il y aura davantage de LBO primaires, et davantage de sorties industrielles, ce qui sera un bon signe pour l’écosystème du LBO. Et pour cela, il sera important que les current tradings soient bien
orientés.