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STARTUPS SAFE : l’instrument innovant dédié au financement en amorçage

Publié le 12 juin 2015 à 16h42    Mis à jour le 22 juin 2015 à 12h11

Benjamin Cichostepski et Guillaume Vitrich, Orrick Rambaud Martel

Aux États-Unis comme en France l’investissement dans les startups ne s’est jamais aussi bien porté. Dopés par l’innovation, les capitaux affluent en masse des deux côtés de l’Atlantique. Mais pour autant, ces chiffres cachent de grandes disparités : il reste toujours difficile pour une société de se financer en amorçage.

Même si les acteurs et les opportunités se multiplient, la palette d’instruments pour ce type d’investissements reste étonnement limitée. Entre augmentation de capital et émission d’obligations convertibles, il était temps pour notre profession de suivre l’exemple des startups et de mettre l’innovation au service de nos clients.

Obligations convertibles : un processus lourd et inadapté

Investir en capital dans une entreprise naissante et dont le potentiel reste à exprimer permet certes d’envisager la possibilité d’extraordinaires retours sur investissements mais le niveau de risque qui est associé à cette option limite les montants pouvant être déployés. La pratique s’est donc naturellement tournée vers les obligations convertibles, dont l’usage s’est cependant révélé différent aux États-Unis et en France.

Instrument de quasi-equity, l’obligation convertible aboutit en premier lieu à une situation paradoxale : les investisseurs, dont l’objet et l’intérêt sont de favoriser le développement de la jeune société, se retrouvent à faire peser sur le développement de celle-ci des contraintes typiques de financement par endettement, notamment avec les intérêts, faisant courir ainsi un risque d’insolvabilité. Pour peu que l’investisseur structure son investissement en venture loan (l’obligation est remboursée en numéraire et la partie hybride correspond à un equity kicker additionnel) la société devra en plus supporter des sûretés et mécanismes de subordination bien trop lourds et complexes.

En plus de ne pas être en adéquation avec l’esprit d’un financement d’amorçage, les obligations convertibles font l’objet d’une contrainte supplémentaire en France. Pour être émises par des sociétés françaises, celles-ci doivent être en mesure de justifier de l’existence de deux bilans régulièrement approuvés. Le Code de commerce impose alors une vérification de la situation financière par un commissaire. La procédure est longue, couteuse et ne correspond pas aux exigences de délais de réalisation de l’investissement. 

Finalement, à l’issue d’une émission d’obligations convertibles ni la société ni les investisseurs ne se retrouvent dans une situation satisfaisante. Inspirés par nos clients qui aiment tant être «disruptifs», il a fallu l’être à notre manière pour concevoir une solution idéale et adaptée aux besoins des startups.

 

Le SAFE : l’adaptation des obligations convertibles

Partant du constat que nous venons de faire, et à l’initiative de l’un des incubateurs les plus en vue de la Silicon Valley, YCombinator, l’idée a germé de proposer un instrument unique de quasi-equity donnant accès au capital lors d’un évènement clef de la vie de la société (notamment les levées de fonds ou l’introduction en bourse) et dont les conditions de conversion reposeraient directement sur la valorisation retenue à l’occasion de l’évènement déclencheur. John Bautista, associé d’Orrick Silicon Valley et responsable du Technology Companies Group de notre cabinet, a formalisé cette idée sous la forme d’un simple agreement for future equity (SAFE), principe immédiatement soutenu et adopté par la pratique. Son succès repose en grande partie sur sa simplicité, sa facilité de mise en œuvre et sur le fait qu’il reprend très largement des structures et mécanismes connus des investisseurs car communs aux obligations convertibles telles qu’utilisées aux États-Unis (notamment les plafonds, décotes, etc.) mais en s’affranchissant des contraintes liées à la date de maturité et aux taux d’intérêts.

Cet instrument financier, adapté au système juridique français, représente de loin la solution la plus innovante aux problématiques de structuration du financement d’amorçage des startups.

 

L’adaptation du SAFE au système français

L’extrapolation française du SAFE fait prendre à celui-ci la forme d’un bon de souscription unique donnant droit à l’investisseur d’acquérir, à l’occasion d’une prochaine levée de fond ou d’un évènement de liquidité, un nombre d’actions calculé à partir de la valorisation retenue pour la réalisation de l’évènement déclencheur1.

 

L’économie du débat sur la valorisation

Ce dernier aspect est l’avantage majeur du SAFE car la valorisation d’une entreprise naissante, son potentiel réel ou espéré, font naturellement l’objet de longs débats lorsqu’il s’agit d’émettre des instruments financiers convertibles. Cet outil permet de s’affranchir de cette contrainte majeure en faisant reposer le ratio de conversion sur la valorisation qui sera retenue lors de l’évènement déclenchant son exercice.

L’exercice du SAFE étant intimement lié et uniquement possible à la suite d’un évènement ayant conduit à la détermination d’un prix par action, il suffira de rependre ce prix par action pour fixer le nombre d’actions auquel donnera droit le bon unique, le prix d’exercice étant fixé à la valeur nominale des actions. Au-delà de l’économie du débat sur la valorisation, c’est aussi la plus grande fiabilité de la valorisation qui séduit. Celle-ci intervenant plus tard dans la vie de la société, elle repose sur une vision plus claire de la société et de ses perspectives que celle qui aurait prévalue au stade précoce de l’amorçage.

 

Flexibilité, adaptabilité et faible coût

Bien entendu, à l’image des obligations, le SAFE peut faire l’objet d’aménagements et permet toutes les combinaisons envisageables. Il sera par exemple possible de prévoir une décote applicable à la valorisation future de la société ou de fixer des valorisations plancher et plafond. La première permettant de protéger les fondateurs contre une dilution extrême tandis que le plafond garantit indirectement à l’investisseur un pourcentage minimum du capital de la société après exercice, y compris dans l’hypothèse où la société serait valorisée très nettement au-dessus des prévisions initiales. Ce dernier point, avec la décote, est finalement le seul qui fera l’objet d’une véritable négociation.

Totalement personnalisable tout en restant simple conceptuellement et juridiquement, le SAFE ne nécessite pas la rédaction d’une documentation lourde, facteur de fluidité et d’abaissement des frais de conseil. Seuls deux documents devront être signés pour procéder à l’émission :

- un contrat d’émission établissant les grands principes de l’investissement ainsi que les déclarations, garanties et engagements des parties ; et

- une décision d’émission contenant la formule de détermination du taux de conversion ainsi que la définition de tous les paramètres du bon.

Les SAFE, en tant que bons de souscription d’actions, entrant dans le champ de protection fixé par le Code de commerce contre la modification de la forme ou de l’objet de la société ainsi que la modification des règles de répartition des bénéfices ou de la décision d’amortir son capital,  offrent une grande sécurité juridique sans qu’il ne soit nécessaire de rédiger des clauses complexes visant à contractualiser ces éléments protecteurs.

Le SAFE, dont le prix de souscription est égal au montant de l’investissement, pourra donc être émis rapidement au profit d’un investisseur, sans qu’il soit nécessaire de coordonner les négociations ou d’attendre l’arrivée d’autres investisseurs ; la société pouvant émettre séparément un SAFE à chacun des investisseurs.

Enfin, il ne sera plus question de renégociation de la maturité ou du taux d’intérêt d’une obligation convertible, le SAFE permettant naturellement de s’affranchir de cette contrainte, c’est autant de temps et d’énergie gagnés par les fondateurs à se concentrer sur l’essentiel : le développement de leur société. 

 

1. TheFamily et notre confrère Sacha Benichou (SB Avocats) ont notamment fait une proposition d’adaptation du SAFE sous forme de BSA AIR.

Le SAFE en une leçon

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