Par Jérôme Thébault, juriste fiscaliste, LCL Gestion de Fortune et Bernard Bullet, direction corporate finance LCL
Malgré le contexte économique morose et le paysage fiscal fluctuant, les projets de cession d’entreprises ne sont pas tous gelés. Les transmissions à titre gratuit au sein des familles poursuivent leur trajectoire indépendamment de l’environnement extérieur.
La dimension psychologique avant la technique
Pour le chef d’entreprise, la décision de transmettre préexiste aux opportunités juridiques, fiscales et financières. L’objectif se dessine au gré d’années de réflexion et de préparation. Trouver les repreneurs, les former au métier de l’entreprise et à sa direction, préparer l’après, s’imaginer quittant l’aventure de l’entreprise qui est souvent le projet de toute une vie… il n’est pas aisé pour le fondateur de se séparer de son entreprise, tant du capital que du pouvoir.
Le contexte économique et fiscal agit comme un élément plus facilitateur que décisif, d’autant que les chefs d’entreprise ont rarement une idée fidèle du coût d’une transmission. Ils ignorent souvent que l’environnement fiscal français actuel est extrêmement favorable à la transmission à titre gratuit. De nombreux outils existent en effet qui, cumulés, atténuent le coût de l’opération. Mais comme pour toute démarche d’optimisation, la mise en place des dispositifs requiert de l’anticipation. Démonstration autour d’une PME de transport basée en Ile-de-France, constituée sous forme de société anonyme (SA). Son fondateur âgé de 68 ans souhaite amorcer la transmission à ses enfants de l’entreprise qu’il a fondée une quarantaine d’années plus tôt.
Des héritiers repreneurs, d’autres à désintéresser
Le fondateur a quatre enfants. Deux d’entre eux ont vocation à reprendre l’entreprise. Ils y occupent déjà des postes, et se préparent depuis plusieurs années à la diriger. Les deux autres enfants n’ont aucune ambition vis-à-vis de l’entreprise. Il convient donc de désintéresser ces deux héritiers. Mais le patrimoine du chef d’entreprise donateur est composé quasi exclusivement de la PME, ce qui ne permet pas, en l’état, de désintéresser les héritiers non repreneurs. Une opération de family buy-out peut être ici mise au point.
Dans un premier temps, 51 % des titres de l’entreprise sont transmis en pleine propriété et à parts égales entre les quatre enfants par voie de donation-partage. Le recours à la donation-partage présente l’avantage sur la donation simple de figer les valeurs données et d’écarter ainsi tout risque de réouverture des comptes au moment de la succession du donateur. Mais, comme seuls deux enfants ont vocation à conserver les titres de la société à long terme, le donateur va procéder dans la donation-partage, en accord avec tous les enfants, à une attribution de l’ensemble des titres au profit des seuls donataires repreneurs, à charge pour eux de verser une soulte aux non repreneurs égale pour chacun d’eux à ¼ de la valeur globale des actifs donnés soit 5 millions d’euros.
Ensuite, les deux donataires repreneurs vont créer une société holding soumise à l’IS par apport de l’intégralité des titres reçus par donation ainsi que la charge de régler la soulte (10 millions d’euros au total). La société holding contractera un emprunt du même montant dont le remboursement sera assuré à l’aide de la fraction des dividendes de la société opérationnelle remontant dans la holding. Il importera de veiller à ne pas trop entamer la trésorerie de l’entreprise ni compromettre ses financements de projet. La soulte est payable immédiatement et non à terme, pour éviter que la fluctuation des titres fasse évoluer son montant du même delta.
Une opération au coût fiscal maîtrisé
La donation-partage est placée sous le bénéfice de la loi Dutreil. Les pactes Dutreil permettent en effet d’appliquer un abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis (art. 787 B du CGI), sous condition de conservation des titres concernés, pris collectivement, dans un premier temps, puis individuellement par les donataires, à compter de la donation.
Calculés sur l’assiette des droits de donation ainsi réduite des trois quarts, les droits de donation sont eux-mêmes réduits de 50 % (art. 790 du CGI), car le donateur a moins de 70 ans et la donation s’effectue en pleine propriété.
A noter que si le recours à la holding peut répondre au besoin de financer la soulte versée aux héritiers non-repreneurs, les droits de donation ne devraient en revanche pas pouvoir faire l’objet d’un paiement différé et fractionné (art. 397 A de l’annexe III du CGI). Par conséquent, pour permettre aux donataires repreneurs de s’acquitter de leurs droits de donation exigibles sans délai, il peut être fait appel à des solutions techniques. Ici des titres de la PME sont donnés en pleine propriété, en dehors des pactes Dutreil. Cette donation complémentaire est suivie d’une réduction de capital, opération qui permet de dégager des liquidités nécessaires au paiement des droits.
Des réaménagements après transmission
Avec 49 % des titres de la SA, le donateur continue de bénéficier de l’exonération d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des biens professionnels. Pour que les repreneurs puissent eux aussi être placés sous ce régime d’exonération, la SA jusqu’alors à conseil d’administration est transformée en SA à directoire et conseil de surveillance, ce qui élargit le spectre des dirigeants éligibles à l’exonération des biens professionnels (article 885 O bis du CGI). L’ancien président du conseil d’administration devient président du conseil de surveillance et les héritiers membres du directoire.
Au terme d’une année de mise en place, la transmission est plus qu’amorcée : la société est à moitié transmise, et l’organisation est pérenne. Elle ne sera pas remise en cause au moment de la succession et peut servir à des transmissions ultérieures de parts, à titre onéreux ou gratuit, aux enfants repreneurs ou à des petits-enfants.
3 questions à ... Nathalie Iehl, banquier privé, LCL Gestion de Fortune
Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché ?
Le marché de la transmission est dans une sorte d’attentisme. C’est surtout vrai pour les cessions à titre onéreux car la fiscalité de la sortie est entourée d’incertitudes. En durcissant le régime de taxation des plus-values de cession de valeurs mobilières, la loi de finances pour 2013 a très nettement ralenti les opérations. Pour l’avenir, il est difficile de compter définitivement sur les pistes de réforme issues des Assises de l’Entrepreneuriat tant qu’elles ne sont pas votées. Si elles devaient l’être, et sous réserve de leur précision, elles pourraient être de nature à relancer le marché. Pour les transmissions à titre gratuit, c’est un peu différent puisque le contexte fiscal reste très attractif. Quel que soit le mode de transmission, la décision résulte avant tout d’un projet personnel, déconnecté de la question fiscale. Il est toujours utile de rappeler au candidat à la transmission de ne pas prendre de décision fondée sur une fenêtre fiscale. Ces choix-là n’ont pas de bases solides et ne résistent pas à l’épreuve du temps, contrairement aux choix de vie réfléchis.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Notre approche de ces dossiers est transversale et fait appel à l’ensemble de nos compétences tant sur le volet personnel du dirigeant que sur le volet de l’entreprise. L’accompagnement sur de telles opérations est possible grâce à la proximité en région de nos banquiers privés et de nos responsables corporate finance. La démarche est conjointe et itérative. Au sein du département de la Gestion de Fortune LCL, le banquier privé et le juriste fiscaliste, tous deux spécialisés dans les problématiques du dirigeant actionnaire, travaillent étroitement avec le corporate finance, habitué à intervenir sur le haut de bilan, les cessions LBO et plus largement sur tous les mouvements d’actionnariat.. La préparation, la structuration et le dénouement de telles opérations impliquent les équipes dédiées au dirigeant sur des périodes allant de 12 à 18 mois. De ce fait, il est important que les interlocuteurs du dirigeant soient constants tout au long de l’opération pour une bonne compréhension et une meilleure connaissance du dossier.
Cette démarche structurée, la complémentarité, la disponibilité et la réactivité de nos équipes permettent de proposer à nos clients dirigeants des solutions sur mesure adaptées à leurs projets personnels et professionnels.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
Avant et après la transmission, notre accompagnement est continu. En amont, sur un dossier de family buy-out, le corporate finance aide à déterminer le quantum de la dette de la holding et le finance, tandis que le banquier privé va travailler sur la transformation du patrimoine professionnel en patrimoine privé, sur la diversification des actifs et leur gestion. La gestion de portefeuille, le département financement patrimoniaux, le pôle immobilier, les experts en investissements non cotés, viticoles et vinicoles, etc., toutes les expertises du Groupe sont mises au service du dirigeant pour la réussite de son projet qui ne prend pas fin avec la transmission strictement dite. La mission du banquier privé se poursuit au-delà, pour que l’opération soit le gage de nouvelles opportunités patrimoniales.