Alors que la réglementation des baux commerciaux avait évolué intelligemment au fils des ans grâce à la sagesse de la Cour de Cassation et au peu de lois votées par le Parlement, Madame Pinel, et désormais Monsieur Montebourg, en voulant se lancer dans l’innovation législative pour relancer les PME, mettent une belle épine dans le modèle économique des investisseurs en immobilier commercial qui sont pourtant le moteur d’un grand pan de l’économie immobilière en France, elle-même grande pourvoyeuse d’emplois. Espérons que les sénateurs qui ont amendés ce texte avec une vraie sagesse sortiront gagnant des discussions en commission mixte paritaire.
En effet, ce projet de loi a fait couler beaucoup d’encre et a effrayé, à juste titre, de nombreux investisseurs d’ores et déjà échaudés par la politique fiscale française et le contexte économique ambiant. Passé par les fourches caudines du Sénat, le projet de loi a été amélioré mais n’en reste pas moins fort critiquable sur de nombreux points dont voici quelques morceaux choisis.
Un état des lieux obligatoire
Le nouvel article L 145-40-1 rend obligatoire l’établissement d’un état des lieux en cas de conclusion de bail, de cession du droit au bail, de cession du fonds de commerce et lors de la restitution des locaux ; intention louable mais sans réelle utilité, la plupart des bailleurs organisant d’ores et déjà la réalisation de ce type d’états des lieux.
Une réelle innovation aurait consisté à imposer un état des lieux, et donc une réflexion des parties sur l’obligation de remise en état pesant sur le locataire, à l’occasion du renouvellement des baux, question souvent éludée ou mal comprise lors de la négociation des renouvellements et source de crispations au départ ultérieur du locataire.
Un inventaire précis et limitatif des charges, impôts et taxes
Le bail commercial devient, tel un bail d’habitation, un bail réglementé en ce qui concerne la répartition des charges, impôts et taxes entre bailleurs et preneurs.
Ici encore l’intention affichée d’une meilleure information des parties cache un renforcement de la protection du preneur au détriment de la pratique de marché. En effet, si le nouvel article L 145-20-2 se garde d’imposer une liste précise des charges, impôts et taxes facturable, comme c’est le cas en matière de baux d’habitation, et laisse aux parties le soin de dresser un inventaire précis et limitatif des dépenses liées au bail à la charge du Preneur (inventaire qui, soit dit en passant, était déjà dressé en pratique par les bailleurs diligents, compte tenu de l’interprétation restrictive des clauses de refacturation par les tribunaux), un décret viendra préciser les charges, impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputées au locataire.
Le principe d’une remise en cause de la liberté contractuelle et des équilibres adoptés jusqu’ici par le marché est donc bien posé. Il faudra en revanche attendre le décret d’application pour apprécier la mesure du rééquilibrage imposé par le gouvernement. A l’instar des règles en baux d’habitation, va-t-il ainsi être interdit au Bailleur de faire supporter à son unique locataire le coût des travaux de l’article 606 du code civil ? Qu’en sera-t-il des mises aux normes de l’immeuble loué rendues obligatoires par une nouvelle législation ? A l’heure où tout un chacun voit vert au pas de sa porte et qu’il importe de présenter des plans de «greenification» des immeubles existants, il est fort probable que ce fameux décret ne vise point les améliorations énergétiques des immeubles comme dépenses re-facturables au locataire ...
A cela s’ajoute pour le Bailleur l’obligation de fournir lors de la conclusion d’un bail un état prévisionnel des travaux qu’il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorties d’un budget ainsi qu’un état récapitulatif des travaux engagés dans les trois dernières années, avec leur coût. La question du bail en l’état futur d’achèvement n’est pas abordée tout comme les sanctions associées au non-respect de cette obligation ou à la méconnaissance de cet état prévisionnel.
De nouvelles règles de plafonnement... issues de la loi de 89 sur les baux d’habitation
Alors même que le législateur va faire supporter au Bailleur des travaux qu’il ne pourra sans doute plus récupérer sur son locataire, le législateur harmonise les règles d’évolution du loyer en cours de bail comme lors de son renouvellement avec celles applicables aux baux d’habitation.
Ce plafonnement est organisée de telle manière qu’en cas de fixation du loyer à la valeur locative dans les cas prévus par la loi (articles L 145-34, L-145-38 et L 145-39), la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.
Outre l’aspect ubuesque d’un tel plafonnement dont seuls, selon la jurisprudence actuelle, les titulaires de clause recettes pourront se départir, comment calcule-t-on ces augmentations ? Doit-on étaler sur la durée du bail l’augmentation et faire en sorte de ne jamais dépasser 10 % chaque année comme cet étalement est fait pour les baux d’habitation? Prend-on en compte les effets de l’indexation en cas de bail avec clause d’échelle mobile ? Repart-on du dernier loyer, dernier pallier, ainsi augmenté de 10 % en y ajoutant l’indexation?
Espérons à ce jour que la commission mixte paritaire supprimera ou expliquera et contingentera ce mécanisme aux seuls baux de petits commerces de détails isolés en centre-ville de ville de moins de dix mille habitants.
La durée du bail
Enfin un peu de sagesse. Alors que la loi dans son premier projet manquait de discernement et empêchait les prises à bail fermes et obligeait au maintien des fenêtres de résiliation triennales, le dernier projet soumis à la commission mixte dans son nouvel article L 145-4, sort les baux conclus pour une durée supérieure à 9 ans, les baux des locaux monovalents et les baux de bureaux de ce dispositif assassin de tout calcul de valeur par un investisseur.
En outre, l’article L145-12 est complété par un alinéa attendu par de nombreux investisseurs et vendeurs en sale and lease-back aux termes duquel il est enfin permis aux parties de s’engager, lors de la prise à bail, sur un renouvellement de celui-ci pour une durée supérieure à neuf ans.
Le droit de préemption du locataire
A nouveau s’inspirant du droit de préemption du locataire en cas de vente de son appartement, le législateur nous propose un nouvel article L 145-46-1 aux termes duquel le locataire dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer sur une offre de vente de son local. Si ce dernier accepte, il dispose de deux mois pour acquérir, sauf recours à un financement bancaire, auquel cas il dispose de quatre mois... c’est à dire beaucoup plus que n’importe quel investisseur ou, d’ailleurs, personne physique cherchant à acheter son appartement. Si rien ne se passe à l’issue de ce délai, point de sanction, son offre est caduque et le propriétaire en est pour ses frais ...
Rajoutons à cela que dans sa rédaction actuelle peut survenir le cas où le locataire ayant décliné l’offre, et le propriétaire ayant trouvé un acquéreur, ce dernier sera obligé de re-purger le droit de préemption si il, ou son notaire, considère que la vente pourrait se réaliser à des conditions ou à un prix plus avantageux. A cela s’ajoute le problème de la purge du droit de préemption de la commune... Bref, on ne saura bientôt plus comment tout cela s’organise et s’emboite. Ainsi va-t-on enterrer les deals de rachat de pieds de commerce sur toute une rue alors même qu’on peut s’interroger sur l’impérieuse nécessité qui justifie l’instauration d’un tel droit de préemption au profit d’un locataire d’ores et déjà protégé par le droit au renouvellement du tout bail commercial.
Remercions toutefois le Sénat d’avoir exclu de son champ d’application les transactions portant sur les centres commerciaux et les cessions globales d’immeuble comprenant des locaux commerciaux. Reste à savoir s’il doit s’agir d’une même entité foncière ou si cela peut s’appliquer même si cette cession globale comprend plusieurs entités foncières...
En conclusion
On peine à déceler un véritable fil conducteur aux innovations du projet de loi Pinel qui dépasserait le simple renforcement pointilliste de la protection du locataire. Rappelons que le statut des baux commerciaux est pourtant un système de règles qui s’organisent autour de grands équilibres qui seuls permettent d’assurer la cohérence des relations bailleurs/preneurs dans leur généralité. On ne modifie pas ce type d’équilibres par un inventaire à la Prévert.
Aubry d’Argentier, associé, Fairway Avocats
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