Vantée pour sa technicité et sa capacité d’analyse business comme pour son sens de l’écoute, Céline Domenget-Morin, associée en charge du restructuring chez Goodwin, privilégie les solutions d’équilibre aux démonstrations de force. Portrait.
A la manière diserte et enthousiaste dont elle retrace son parcours, il est facile de voir que Céline Domenget-Morin est toujours aussi passionnée par son métier. « Dès son arrivée, elle a tout de suite été perçue comme quelqu’un d’extrêmement dynamique, et j’insiste sur le mot extrêmement », s’amuse Arnaud Fromion, associé spécialisé en financement chez Goodwin. Celle qui développe le restructuring au sein du bureau parisien du cabinet anglo-saxon depuis près de quatre ans est en effet intarissable sur cette « matière riche techniquement » et pleine de sens. « On a l’impression de servir à quelque chose », confie-t-elle.
Le choix de la pratique ne relève en effet pas du hasard pour cette fille d’un ingénieur agronome : « Mon père conseillait les agriculteurs dans la gestion de leurs exploitations, raconte-t-elle. De par son métier, il était régulièrement confronté à des entreprises en difficulté. » Si comme de nombreux avocats d’affaires, cette diplômée de l’Université Paris-Nanterre et de l’ESCP cumule le goût du droit et celui de l’économie, c’est aussi la dimension humaine, particulièrement cruciale pour gérer des situations de crise, qu’elle vient chercher dans le restructuring. Voir une entreprise réactiver ses projets après la signature d’un accord ou l’adoption d’un plan fait d’ailleurs partie de ses sources de satisfaction, comme lorsque la maison Balmain parvient à organiser son défilé quelques mois après sa restructuration en 2006.
Les débuts chez Lazard
Originaire du Sud de la France, grandissant entre Montpellier et Toulouse, ce n’est pourtant pas en cabinet d’avocats mais en banque d’affaires, chez Lazard, qu’elle commence sa carrière en 2001. Une belle opportunité que la « jeune provinciale » de l’époque ne pouvait pas refuser. Durant deux ans, Céline Domenget-Morin enchaîne les dossiers à un rythme effréné, travaillant notamment sur la privatisation d’EDF-GDF et la cession de l’activité télécom de Vivendi en Pologne. Une sorte de « MBA en accéléré » dont elle se sert toujours aujourd’hui. « Ses capacités d’analyses économiques et business sont assez impressionnantes », relève Arnaud Fromion.
Elle maintient néanmoins le cap de l’avocature, et intègre, en 2004, le cabinet Veil Jourde. Travaillant avec différentes équipes, elle rencontre Guilhem Bremond avec qui elle fait rapidement équipe. Plongée dans l’univers des sociétés en difficulté, essentiellement des PME, elle connaît très vite le premier dossier phare de sa carrière. En 2006, Eurotunnel, endetté à hauteur de 9 milliards d’euros, choisit notamment le cabinet français pour l’assister. « Avec l’ensemble des équipes, nous nous sommes mis en mode commando, commente-t-elle. La loi créant la procédure de sauvegarde venait d’être adoptée mais n’était pas encore applicable. Nous avons étudié sa pertinence pour le dossier. Et, en juillet 2006, la décision a été prise d’y aller. »
De la boutique à la firme anglo-saxonne
Au même moment, Guilhem Bremond, qui officie chez Veil Jourde depuis quatre ans, décide de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Il crée son propre cabinet en 2006, suivi naturellement par sa collaboratrice, qui devient deux ans plus tard son associée. La boutique s’impose rapidement sur le marché. L’équipe grandit avec les arrivées de Dimitri Sonier et Virginie Verfaillie Tanguy. « J’en ai profité pour construire ma famille », raconte Céline Domenget-Morin. Son premier fils naît en 2007, puis son cadet trois ans plus tard.
La faillite de Lehman Brothers, et la crise financière qu’elle entraîne, amène les premiers dossiers de LBO en difficulté… et les nuits au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui leur sont associées. « J’intervenais alors essentiellement pour des fonds, souvent en binôme avec Latham & Watkins, précise-t-elle. J’ai apprécié cette collaboration avec les équipes private equity et financement, tout en ayant une petite frustration de ne pas pouvoir taper à la porte du bureau d’à côté. » L’avocate, alors âgée de 35 ans, s’interroge sur la suite à donner à sa carrière. Et lorsqu’elle apprend, au détour d’un déjeuner, que White & Case cherche à monter une pratique restructuring à Paris, elle n’hésite pas à se positionner. En janvier 2013, elle rejoint ainsi les rangs de la firme anglo-saxonne, opérant par là même un changement assez radical après sept années d’exercice au sein d’une boutique.
La quête du gagnant-gagnant
Au sein de son cabinet, elle construit une pratique diversifiée, intervenant tant du côté des entreprises que de celui des créanciers. Un atout relativement rare chez les professionnels du retournement, souvent associés à l’une ou l’autre partie, rendu possible par son tempérament. « Céline est tenace. Pour autant, elle n’est pas dans la menace d’actions contentieuses et favorise toujours une sortie par le haut », témoigne l’associé d’Eight Advisory, Xavier Bailly. Une approche de deal making qui la conduit à chercher le juste équilibre. « J’ai besoin de comprendre l’entreprise et ses ressorts pour approcher le dossier dans sa globalité, explique-t-elle. Mon objectif est de trouver une solution dans l’intérêt de mon client mais dans un esprit gagnant-gagnant avec les autres parties afin d’assurer la pérennité de la société. »
C’est avec cette philosophie que Céline Domenget-Morin épaule, en 2018, le management de Mr Bricolage. L’enseigne est à l’époque dans une situation critique. « Il y avait des inquiétudes très fortes sur la trésorerie à court terme, se souvient Xavier Bailly, également présent sur le dossier. Le groupe n’avait plus de directeur financier et n’était plus sous contrôle. Il fallait mettre en place des solutions très rapidement. » L’entreprise se tourne alors vers White & Case pour l’appuyer dans la procédure. « Céline a représenté un appui immédiat, se souvient le directeur général Christophe Mistou. Elle nous a présenté différents experts et un directeur financier, elle a organisé les réunions avec le CIRI… Ces situations sont difficiles à vivre. Céline nous a accompagnés sans jamais manifester de jugement. Bien au contraire, elle prenait le temps d’appeler lorsqu’elle sentait que le moral était moins bon. » Les magasins en propre, déficitaires, sont cédés et une solution est trouvée avec les banques. « Nous avons obtenu le temps nécessaire pour retrouver l’équilibre et devenir l’acteur performant que nous sommes aujourd’hui », synthétise le dirigeant.
La médiation Areva Siemens TVO
Sa capacité à se mettre à la place de l’autre et son sens de l’écoute lui ont aussi permis de se distinguer dans ce qui reste l’une des plus grosses médiations de la place parisienne. Face au retard accumulé dans le projet de l’EPR finlandais, Areva et Siemens, en charge de la construction, et leur client TVO se déchirent depuis près de dix ans dans le cadre d’un arbitrage dont les enjeux se comptent en milliards d’euros. « Je suis arrivée sur le dossier en 2016 de manière un peu informelle, explique Céline Domenget-Morin. L’équipe arbitrage m’a demandé d’analyser l’impact et la pertinence des procédures collectives qui pouvaient être ouvertes. J’ai envoyé différentes notes, et un jour TVO a demandé que j’intègre le cercle de ses conseils. »
Parallèlement à l’arbitrage, une médiation s’ouvre alors sous l’égide de Frank Gentin. « Dans l’univers du restructuring, certains peuvent être dans un rapport de force exacerbé, ce n’est pas son cas, relève l’ancien président du tribunal de commerce de Paris. Céline a su inspirer confiance tout en défendant l’intérêt de son client. Elle a joué un rôle clé dans cette médiation. » A petits pas, après plusieurs mois de négociation ponctués de nombreuses nuits de travail, les parties finissent par signer un accord au printemps 2018. « Au vu des enjeux, la pression était énorme, confie-t-elle. Je croyais à une solution négociée, j’ai mis toute mon énergie pour qu’on y parvienne. Après dix ans d’arbitrage, opposant des parties aux cultures très différentes, c’était particulièrement difficile. » Et lorsque deux ans plus tard, une deuxième négociation s’impose, TVO fait naturellement appel à celle qui est devenue, entre-temps, associée chez Goodwin.
Céline Domenget-Morin rejoint en effet le cabinet américain en 2019 pour créer la pratique restructuring. Une activité qu’elle mène en relation étroite avec Arnaud Fromion. Les deux associés unissent régulièrement leurs expertises comme récemment sur les dossiers de Vallourec ou de Pierre & Vacances. Représentant les prêteurs sur la restructuration du gestionnaire de résidences touristiques, le duo a su faire preuve d’ingéniosité en leur proposant un financement avec des sûretés renforcées. « Les discussions ont été particulièrement dures, mais in fine, les banques ont vu leur position améliorée, tout en maintenant leur soutien au groupe dont la pérennité a été assurée », résume-t-elle. Le dossier lui donne aussi l’occasion de proposer une solution innovante pour la conversion du prêt garanti par l’Etat (PGE) en capital, et la fiducie assurant le retour à meilleure fortune des pouvoirs publics.
Bosseuse « acharnée », femme engagée dans la vie de la profession, notamment en tant que membre du bureau de l’ARE, Céline Domenget-Morin affirme ne pas avoir besoin de beaucoup de sommeil. Pour autant, cette sportive, qui à l’adolescence s’imposait 14 heures d’entraînement de gymnastique par semaine, doit parfois décompresser. Un bol d’air qu’elle trouve dans le vélo, le ski, la randonnée, mais aussi dans la sculpture à laquelle elle s’adonne depuis peu. « Mon souhait serait d’avoir un atelier afin de pouvoir faire du bronze, confie-t-elle, mais ce ne sera sans doute pas pour tout de suite. »