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Droit des consommateurs : ce que change la directive Omnibus

Publié le 1 juin 2022 à 10h25

Pierre-Anthony Canovas    Temps de lecture 5 minutes

Plus de deux ans et demi après son adoption, la directive européenne relative à « une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs » est en vigueur en France depuis le 28 mai. Elle vise notamment à lutter contre les faux avis et gonflements artificiels de prix à la veille de soldes mais les défis sont nombreux.

Luc Marie Augagneur & Jacqueline Brunelet, Cornet Vincent Segurel

Plus de transparence pour le consommateur, un meilleur encadrement des professionnels et des sanctions uniformisées à l’échelle de l’Europe en cas d’abus. Telles sont – entre autres – les ambitions de la directive dite « Omnibus » du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019, transposée en droit français par une ordonnance de décembre 2021 et désormais mise en œuvre dans l’Hexagone depuis fin mai.

La chasse aux faux avis et aux prix artificiellement gonflés

Parmi les principales avancées figure un encadrement renforcé autour des réductions de prix. En d’autres termes, il s’agit de mettre fin à la pratique qui consistait à baisser à l’occasion de soldes un prix… qui avait été discrètement augmenté à la veille d’opérations spéciales. « Par certains aspects, cette directive n’est pas à proprement une révolution, mais plutôt un retour à une certaine orthodoxie. C’est le cas pour les prix de référence sur lesquels sont calculés les pourcentages promotionnels qui devront à nouveau correspondre (sauf exception) au prix le plus bas pratiqué au cours des 30 derniers jours. Cela risque de perturber les opérateurs d’e-commerce qui ne l’ont pas bien anticipé », analyse Luc Marie Augagneur, associé chez Cornet Vincent Segurel.

« Omnibus » entend par ailleurs lutter contre les faux avis sur les sites, une pratique au fort pouvoir réputationnel qui se multiplie depuis des années. Plus largement, la directive vise à mieux faire connaître la qualité de professionnel – ou non – du vendeur à l’acheteur potentiel mais aussi, de façon plus marginale, à empêcher le démarchage non sollicité à domicile. « A quelques exceptions près, la colonne vertébrale de cette directive est véritablement celle d’une plus grande transparence pour le consommateur destinée à garantir de bonnes pratiques », détaille sa consœur de Cornet Vincent Segurel Jacqueline Brunelet. La juriste souligne le risque d’une information foisonnante qui pourrait finalement noyer le consommateur. « L’accumulation d’informations n’est pas nécessairement une garantie d’effectivité des droits », précise-t-elle.

Une directive protectrice… mais paradoxale

Si certains aspects avaient déjà été pris en compte en France spécifiquement à l’occasion de la « loi pour une République numérique » de la secrétaire d’Etat Axelle Lemaire en octobre 2016, ils sont aujourd’hui repris dans cette directive dans des termes proches. Il faut dire que les géants du Web, déjà puissants à l’époque, n’ont fait qu’étendre leur emprise depuis. « Ce qui est nouveau par rapport à il y a cinq ou dix ans en arrière, c’est la prise en considération des spécificités des plateformes, notamment des places de marché. La directive Omnibus les soumet à davantage d’obligations d’information », précise Luc-Marie Augagneur.

Plus surprenant, la directive formalise la possible personnalisation du prix en fonction des habitudes de fréquentation de l’internaute sous réserve de son acceptation par le consommateur préalablement informé. « C’est l’un des aspects paradoxaux de cette directive, il y a à la fois un désir de transparence et de meilleure lisibilité des prix promotionnels, poursuit Luc-Marie Augagneur qui évoque les billets d’avion dont les prix fluctuent largement en fonction de la fréquentation du site marchand. En même temps, la reconnaissance de la possibilité de l’individualisation des prix en fonction d’un profilage risque de remettre en cause cette lisibilité et pourrait déstabiliser certains consommateurs », met-il en garde.

Des sanctions qui s’alourdissent

Du côté des sanctions, la directive les alourdit dans le cas de manquements aux obligations légales d’informations. Dans le cadre d’« infraction de grande ampleur », la sanction pourra même atteindre 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. A propos des faux avis, c’est encore plus important. « Cela peut relever d’une pratique commerciale trompeuse et ainsi être sanctionné d’une amende maximale de 10 % du chiffre d’affaires annuel », précise Jacqueline Brunelet.

Reste que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) veille au grain en adoptant une posture répressive face aux abus. « La DGCCRF et le parquet sont en train de demander aux juridictions de prononcer des sanctions plus dissuasives. Les autorités et juridictions des autres pays européens n’ont toutefois pas toutes la même vision de la répression dans la manière de mettre en œuvre les sanctions », poursuit Luc-Marie Augagneur. Un autre paradoxe se dessine donc : une volonté d’uniformité face à des pratiques – et des cultures répressives – encore bien hétérogènes. La construction européenne et sa fameuse politique des « petits pas » ont encore de beaux jours devant elle…


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