La transposition en droit français de la directive (UE) 2019/1023 dite « Restructuration et insolvabilité » a instauré une primauté des créanciers « dans la monnaie » sur tous les autres, les actionnaires étant les grands perdants de cette réforme. Logiquement, les premiers en tirent les conséquences en tentant de s’adapter à ce nouveau paradigme.

Avant même l’ouverture d’une procédure collective, les créanciers dans la monnaie cherchent désormais à protéger le caractère prioritaire de leurs créances. Les contrats de financement évoluent donc dans leur rédaction, dans la mesure où les créanciers veulent sécuriser le rang de leurs dettes et s’assurer qu’ils seront bien tout en haut dans l’ordre de priorité de paiement du « waterfall ». Les institutions financières souhaitent ainsi préconstituer leur classe au moment où le crédit est consenti et tentent de forger une singularité de leur créance afin qu’elle ne puisse être assimilée à aucune autre, évitant par la même occasion que la communauté d’intérêt entre eux et d’autres créanciers puisse être établie. Partant de cela, elles voteront seules dans la classe qu’elles se sont réservée. Le juge est d’ailleurs relativement enclin à admettre la singularité de certaines créances notamment en tenant compte de la particularité du secteur d’activité du débiteur, à l’instar de ce qui a pu être fait dans le dossier FIB1. Dans cette décision, le juge s’est attaché à l’existence d’une image de marque commune au débiteur et à son fournisseur affilié pour valider la constitution d’une classe distincte de celle des autres fournisseurs. Pour éviter toute incertitude à ce sujet, des réflexions sont en cours afin de développer des clauses plus protectrices qui sécuriseraient la position des créanciers. Le vrai test d’efficacité de ces modifications contractuelles à venir interviendra lors de l’ouverture de la procédure collective.
Une réforme de la sauvegarde et du redressement judiciaire qu’il a fallu apprivoiser
Un certain nombre de dossiers emblématiques comme Pierre & Vacances Center Parcs, Orpea, Casino, Atos ont permis aux professionnels de se roder aux subtilités du test du meilleur intérêt des créanciers, à la règle de la priorité absolue ainsi qu’au mécanisme de l’application forcée interclasse, etc.
A titre d’exemple, il est possible de citer la mise en œuvre de la règle de la priorité absolue dans le dossier Orpea dans lequel un créancier junior ne peut être payé un centime, tant qu’un créancier plus senior n’est pas remboursé en totalité, ce qui est logique. Ce qui l’est moins, c’est le montant de la créance devant être pris en compte qui est celui de la créance initiale et non celui de la créance entérinée par le plan de restructuration. Ainsi, si un créancier senior consent un write-off de 80 % dans le cadre du plan de restructuration, le junior ne pourra être remboursé tant que le senior n’aura pas été payé à 100 % de la créance initiale. Des jurisprudences intéressantes commencent à apparaître au sujet de la constitution des classes de parties affectées, lesquelles marquent notamment l’appréciation évolutive et pragmatique du critère de la communauté d’intérêt économique suffisante.
De nouvelles pratiques se développent
Désormais, force est de constater l’émergence d’une pratique plus consensuelle dont le plus grand symbole est probablement les accords dits de lock-up aux termes desquels une majorité de créanciers se déclarent favorables au plan qui leur est soumis avant l’ouverture de la procédure collective en y apportant par la suite leur vote. Ils s’engagent également à ne pas céder leur créance pendant toute la durée de la procédure collective, et ce jusqu’au vote final du plan. Aujourd’hui, de fait, avant même l’ouverture de la procédure, les créanciers et le débiteur adoptent une approche transactionnelle dont la sauvegarde ou le redressement judiciaire ne sont finalement qu’une modalité pratique de mise en œuvre de l’accord trouvé en amont. C’est un confort appréciable pour les entrepreneurs qui, antérieurement, rentraient généralement dans la procédure collective sans nécessairement savoir quand et comment ils en sortiraient. La réforme a renforcé la capacité et la volonté des entreprises et des parties prenantes à une restructuration de sécuriser une solution ab initio, ce qui permet, dans l’intérêt de tous, de réduire la durée et les incertitudes attachées à une procédure collective.
1. T. com. Bordeaux, 20 mars 2024, n° 2023J206.