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La lettre d'Option Droit & Affaires

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Third-party funders : une solution pour l’accès au droit

Publié le 8 juin 2022 à 12h20

BCTG Avocats    Temps de lecture 8 minutes

Face à des procédures de plus en plus longues et coûteuses, que ce soit dans le cadre de contentieux à forts enjeux économiques ou d’arbitrages internationaux, les « third-party funders » (ou tiers financeurs) se développent. D’aucuns souhaitent un encadrement juridique mais celui-ci, s’il est mis en place, devra être conçu de telle sorte qu’il n’empêche pas l’accès au juge. Les TPF doivent être perçus comme des solutions permettant, précisément, l’accomplissement d’une justice de qualité, accessible à tous.

Par Augustin Nicolle, associé, et Mathieu Ducrocq, collaborateur, BCTG Avocats

Les tiers financeurs (third-party funders – TPF) sont des fonds qui acceptent de financer tout ou partie des frais exposés par une partie dans le cadre d’une procédure contentieuse. En cas de décision favorable, et après exécution de celle-ci, le TPF perçoit un pourcentage du gain perçu. A l’inverse, si la décision est défavorable ou si elle se révèle impossible à exécuter, le bailleur de fonds ne perçoit rien et ne peut prétendre au remboursement des montants investis.

Le bénéficiaire du financement s’épargne ainsi la charge financière de la procédure. Il peut consacrer sa trésorerie à son activité plutôt qu’à son actualité judiciaire, et il crédibilise finalement son dossier dès lors qu’un fonds, après due diligence, a considéré qu’il existait une sérieuse chance de succès. Cette crédibilité accrue peut aussi favoriser une négociation.

L’essor du financement des litiges

Ce mode de financement s’est développé initialement dans les pays anglo-saxons, principalement pour des arbitrages internationaux compte tenu des coûts inhérents à ce type de procédures. Nécessairement destiné à évoluer plus largement pour répondre à des besoins qui existent, de façon finalement assez similaire, dans d’autres cadres procéduraux, rien n’empêche d’avoir recours aux TPF pour des procédures devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif, que l’on soit une personne physique agissant seule, un ensemble d’individus dans le cadre d’une action de groupe, une PME ou, pourquoi pas, un groupe souhaitant gérer sa trésorerie.

Les procédures arbitrales ou judiciaires étant de plus en plus longues, au regard des voies de recours employées de plus en plus systématiquement, et générant des coûts de plus en plus substantiels (frais d’expertise, d’avocats, de correspondants, d’analystes économiques), c’est bien l’accès à la justice qui est aujourd’hui en cause. A cet égard, les TPF offrent incontestablement une solution qui favorise l’accès au juge.

L’intérêt de ce mode de financement largement reconnu par les acteurs du monde judiciaire

La plupart des institutions internationales de référence en matière de règlement des différends n’ont pas d’opposition à ce mode de financement des litiges. Le règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), dans sa version révisée entrée en vigueur le 1er janvier 2021, évoque ainsi le sujet dans son article 111. Il impose aux parties de révéler au tribunal arbitral, et aux autres parties, « l’existence et l’identité de tout tiers ayant conclu une convention pour le financement de ses demandes ou défenses et au titre de laquelle celui-ci aurait un intérêt économique dans l’issue de l’arbitrage ». Cette obligation a pour objet d’éviter tout conflit d’intérêts entre, par exemple, un arbitre et le TPF impliqué.

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) est sur la même ligne. Un amendement au règlement d’arbitrage de ce dernier a été approuvé en début d’année et devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2022. Là encore, une obligation de transparence va s’imposer. L’ordre des avocats enfin, et pour se limiter à trois exemples, a lui aussi invité (sans les y obliger) les confrères à faire preuve de transparence en cas de financement de la procédure dont ils se trouvent chargés. Il a également rappelé la nécessité de procéder via la CARPA, y compris pour le paiement des frais du financeur2.

L’encadrement de ce mode de financement à l’ordre du jour au niveau européen

Si le mécanisme est dorénavant reconnu, la question de sa réglementation se pose de plus en plus. La commission des affaires juridiques du Parlement européen s’est penchée sur le sujet, constatant l’essor des financements de litige consécutifs à des décisions des autorités de concurrence ou de la Commission européenne ayant sanctionné des ententes anticoncurrentielles. Un projet de rapport a été publié le 19 juillet 2021 (2020/2130 5INL) et les propositions de certains membres de la commission expriment une très grande méfiance sinon, de la part de certains, l’idée d’un nécessaire agrément préalable, d’une rentabilité plafonnée, voire d’une interdiction pure et simple.

Le risque d’une réglementation trop contraignante est que les fonds, qui devront conserver une équation économique qui dépend directement de leur exposition, limitent sinon renoncent à financer, ou exigent une rentabilité, et donc une rémunération, plus importante. En résumé, une réglementation excessive empêchera automatiquement la mise en œuvre de certains financements et, en conséquence, empêchera certaines victimes de réclamer la réparation de leurs préjudices. Car c’est bien là l’idée : les TPF facilitent une indemnisation et l’accès de tous à la justice. Ceux qui y voient un risque pour les victimes doivent le garder à l’esprit.

L’attrait de plus en large de ce mode de financement des litiges

Aujourd’hui, des plaideurs aux profils divers font appel à des fonds de financement de litiges devant les juges étatiques dans le cadre de contentieux à forts enjeux économiques. Ce peut être le cas d’un actionnaire minoritaire, fragile, qui se heurte à un majoritaire puissant jouant la montre dans la procédure, de victimes de cartels qui, avant toute procédure, doivent faire procéder à des analyses économiques extrêmement complexes et coûteuses, etc. Dans ce dernier schéma, les TPF permettent aux victimes de mutualiser leurs coûts et s’assurent, ainsi, une assiette de dommages et intérêts plus conséquente du fait de la réunion d’un nombre conséquent de victimes du cartel.

Pour une entreprise aussi, les intérêts sont multiples : les risques liés à l’aléa judiciaire sont transférés sur les épaules du financeur, tandis que la trésorerie de l’entreprise peut être mobilisée pour le développement de son activité. Le bilan de l’entreprise, en outre, est nettoyé d’éventuelles provisions passées pour prévenir les risques de la procédure.

Ce mode de financement n’est donc plus, comme cela a pu être le cas, réservé exclusivement à une certaine catégorie de victimes ou de litiges. Le prérequis est naturellement que l’enjeu financier sous-jacent soit conséquent pour permettre au TPF d’assurer une rentabilité minimale. Mais toutes les entreprises – de la PME au grand groupe – sont susceptibles de trouver un intérêt au financement de litiges qui peuvent grever leur trésorerie au détriment des investissements nécessaires au développement de leur activité.

Rappelons que la contrepartie de l’investissement des TPF trouve sa source dans le gain potentiel qu’une procédure judiciaire est susceptible de générer. A défaut de succès, le TPF ne perçoit rien, c’est-à-dire qu’il supporte le risque. La partie financée n’a aucun engagement à l’égard du TPF de rembourser les montants investis. Il ne s’agit pas d’un prêt.

La présélection des dossiers opérée par le TPF

On comprend aisément que si le recours à un tel mode de financement a vocation à se développer, tous les dossiers ne seront pas propices à l’intervention d’un tiers financeur. Au-delà des enjeux financiers importants qui doivent permettre au TPF d’assurer une rentabilité minimale et au financé de percevoir un gain substantiel après déduction de la part du gain revenant au fonds, ce dernier procède à une étude rigoureuse du dossier pour étudier la part de risque. Cette analyse consiste à un audit complet du dossier : juridique pour déterminer le bien-fondé des demandes, économique et financier pour préciser le montant total des sommes susceptibles d’être obtenues en cas de succès. C’est au regard de ces éléments que le TPF peut estimer le caractère raisonnable du risque encouru, et calculer la proportion du gain qu’il entend percevoir en cas de décision favorable. Plus le risque est élevé, plus la part qu’exigera le TPF pour financer le litige est élevé.

Si certains voient derrière le développement de ce mode de financement de litiges un risque de judiciarisation excessive et d’augmentation artificielle de recours contentieux, cette critique doit donc être mesurée. Les TPF n’ont en effet pas vocation à investir tous azimuts dans des contentieux excessivement risqués ou artificiels. Les exigences de rentabilité qui sont les leurs sont totalement incompatibles et garantissent, au contraire, un travail sérieux et minutieux des dossiers, et l’accomplissement d’une justice de qualité, éclairée aux termes de dossiers convenablement préparés.

1. « Afin d’assister les arbitres et les arbitres pressentis dans l’accomplissement de leur devoir au titre des articles 11 (2) et 11 (3), chacune des parties doit, dans les meilleurs délais, informer le secrétariat, le tribunal arbitral et les autres parties, de l’existence et de l’identité de tout tiers ayant conclu une convention pour le financement de ses demandes ou défenses et au titre de laquelle celui-ci aurait un intérêt économique dans l’issue de l’arbitrage. »

2. Résolution du Conseil de l’Ordre du 21 février 2017


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