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A la sortie de la pandémie, les entreprises peinent à financer leur relance

Publié le 13 mars 2023 à 10h00

Thevenot Partners, Weil    Temps de lecture 26 minutes

Les niveaux de défaillances d’entreprises reviennent dans la norme. Mais les PGE ayant rendu les banques frileuses en matière de prise de risques, les sociétés ont de la peine à trouver de la dette supplémentaire leur permettant de financer leurs capex. Par ailleurs, l’inflation et la guerre en Ukraine obèrent les chances de redressement de certaines d’entre elles, que ce soit en raison de leur secteur d’activité (retail, food) ou de leur degré d’exposition au conflit ukrainien. Face à des situations dégradées (trésorerie manquante), l’efficacité du travail entre avocats et administrateurs judiciaires prend alors tout son sens.

Aurélia Perdereau, administrateur judiciaire, Thevenot Partners, Anne-Sophie Noury, associée, coresponsable de la pratique restructuring, Weil, Laura Bavoux, restructuring counsel, Weil

A posteriori, quels enseignements tirez-vous des répercussions de la pandémie sur les entreprises et leur état de santé financière ?

Aurélia Perdereau, administrateur judiciaire, Thevenot Partners : La situation inédite que nous avons vécue s’est accompagnée d’une très forte diminution des procédures collectives mais aussi amiables dans une moindre mesure, et ce, grâce aux aides d’Etat. A ce stade, nous assistons au retour d’une activité plutôt normative. La crise de la Covid-19 a permis de démystifier l’accès aux procédures et de faire émerger une nouvelle culture où les difficultés des entreprises ne sont plus un tabou. Nous rencontrons aujourd’hui des entrepreneurs et des PME que nous n’aurions peut-être pas vu toquer à nos portes avant la pandémie.

Anne-Sophie Noury, associée, coresponsable de la pratique restructuring, Weil : Le Prêt Garanti par l’Etat (PGE) a été salvateur pour nombre d’entreprises. Mais il a aussi pu être détourné de son objectif premier dans la mesure où il a servi, du moins partiellement, à refinancer des crédits, au lieu de redonner du souffle à l’exploitation. Les banques sont devenues d’autant plus frileuses en matière de réaménagement des PGE car elles craignent que la garantie ne soit pas activable, ce qui est compréhensible. 

De nombreuses sociétés doivent réamorcer leur croissance en investissant. Or, les banques leur font comprendre qu’elles sont trop endettées pour ça et leur refusent de la dette complémentaire. Les entreprises doivent donc ouvrir leurs fonds propres.

Aurélia Perdereau : Je remarque aussi cette attitude depuis quelques mois de la part des banques très peu exposées finalement, ce qui est assez dommageable pour les TPE-PME. Les banques prennent très peu de risques à laisser les entreprises partir en procédure collective puisque, dans ce cas, la garantie de l’Etat leur est acquise. Nous avons beaucoup de mal à obtenir que les banques accompagnent les entreprises en difficulté, si elles n’ont pas d’exposition autre que les PGE et quelques prêts de court terme.

Laura Bavoux, restructuring counsel, Weil : Les TPE-PME ont besoin de financements dans le contexte actuel. Or, dans la mesure où les banques ont été habituées à avoir une garantie de l’Etat, celles-ci peuvent être désormais plus réticentes à octroyer des financements comme nous les avons connus ante Covid-19. On constate également un recul sur la mise en place des PGE Résilience visant à soutenir les entreprises dont les trésoreries sont sous pression en lien avec le conflit en Ukraine. Il va falloir revoir la notion de prise de risques, qui doit être justement rémunérée.

Anne-Sophie Noury : Environ 143 milliards d’euros de PGE, dont quelques milliards pour les PGE Résilience, ont été accordés aux entreprises. Ce type de PGE Résilience n’a été déployé qu’à de très rares occasions. C’est en grande partie dû au fait qu’il est délicat de démontrer une corrélation sans équivoque entre les tensions de trésorerie et la guerre en Ukraine.

Les trésoreries se tendent mais il n’y a pas de mur de faillites en vue selon Bercy. Quel constat dressez-vous de votre côté en ce début de 2023 ?

Laura Bavoux : Nous voyons une reprise des liquidations et redressements judiciaires des TPE avec des dates limites de dépôt des offres (DLDO) à très court terme, souvent signe d’une situation très dégradée. Concernant les PME, il y a un peu plus d’ouvertures de procédures amiables. Les entreprises dont les trésoreries leur permettront de tenir bon encore quelque temps le feront car le manque de visibilité au niveau macro-économique demeure flagrant et il n’est pas recommandé d’entamer une restructuration dans un contexte d’imprévisibilité. 

Aurélia Perdereau : L’incertitude en matière de trésorerie est telle que notre mandat consiste souvent à vendre l’entreprise en un temps record, ce qui est toujours compliqué et ne maximise pas les chances de reprise. Comme dans toutes les crises, il y aura des opportunités de concentration sectorielle et de build-up.  

Anne-Sophie Noury : Les entreprises qui n’ont pas financé de capex et n’ont pas pu ou su revoir leur modèle économique souffrent beaucoup. Beaucoup d’enseignes de distribution sont à bout de souffle, après avoir pu bénéficier d’un ballon d’oxygène avec les mesures d’aide prises pendant la pandémie comme le chômage partiel par exemple. La baisse de la consommation liée à l’inflation n’a fait qu’empirer les choses. Le secteur « food » est lui aussi à la peine avec un consommateur qui délaisse les produits plus accessoires. 

Aujourd’hui, comment intégrez-vous la dimension inflation dans les plans de redressement auxquels vous réfléchissez ?

Aurélia Perdereau : Si l’inflation s’installe, sans voir reparaître néanmoins des situations passées où elle atteignait deux chiffres, cela nous aidera à nouveau à faire des plans de redressement ! Mais il faut savoir la maîtriser car le premier effet de cette situation est l’augmentation des coûts des achats avec toutes les difficultés liées à la capacité ou non de répercuter ces surcoûts sur l’aval. Quand il faut rallonger un plan de 24 mois avec 3-4 points de taux d’intérêt lors de négociations avec les banques, c’est délicat à gérer.

Anne-Sophie Noury : Les politiques de lutte contre l’inflation déployées par la BCE entraînent des répercussions immédiates sur l’endettement des sociétés. Quand l’Euribor est entre deux et trois points, on frôle les niveaux d’endettement proposés par des hedge funds. Ce n’est pas anodin car cela impacte fortement les liquidités des entreprises. Comme, en parallèle, on observe un certain attentisme de la part des entreprises et de leurs financeurs, le risque est d’entrer dans des procédures à boucler très vite dans des situations extrêmes.

Laura Bavoux : le problème n’est pas tant l’inflation mais plus l’imprévisibilité du marché comme indiqué précédemment et l’approvisionnement en matières premières de sorte qu’il est difficile de prendre des décisions structurantes dans ce contexte.

Quels sont les facteurs de réussite d’une bonne collaboration entre administrateur judiciaire et avocat ?

Aurélia Perdereau : Il est essentiel de pouvoir compter sur une bonne collaboration entre avocat et administrateur judiciaire pour le bien des entreprises, que ce soit avec le conciliateur dans une procédure préventive ou avec tous les organes de la procédure dans le cas d’une procédure collective. Transparence et confiance sont nécessaires pour apporter une solution consensuelle et unanime au juge-commissaire ou au président du tribunal de commerce.

Laura Bavoux : Un dialogue constructif où nous réfléchissons tous ensemble permet souvent de trouver des solutions ad hoc comme ce fût le cas dans le dossier Ciel. Le positionnement de l’avocat n’est toutefois pas tout à fait le même selon que l’on intervient côté administrateur judiciaire ou côté débiteur. Quand on est avocat du débiteur, on reste à la manœuvre aux côtés de l’administrateur. Lorsqu’on est conseil de ce dernier, on intervient plus en tant qu’expert du droit en appui de l’administrateur qui travaille sur sa solution et qui va vérifier certains points techniques avec ses conseils.

Anne-Sophie Noury : Dans le contexte de la réforme du droit des entreprises en difficulté, l’administrateur joue un rôle central, par exemple : classes de créanciers. Comme ils risquent d’être de plus en plus exposés, ils auront un besoin croissant de conseil juridique pour se protéger plus que pour être guidés car ce sont de grands techniciens compétents dans leur domaine.

Aurélia Perdereau : Nous ne sommes pas considérés comme une partie alors qu’effectivement, nous devons prendre des options aux répercussions significatives sur la sortie de la procédure. C’est une responsabilité qui nous incombe et nécessite que nos intérêts – qui deviennent distincts de ceux de l’entreprise en difficulté – soient représentés par un avocat.

Quel regard portez-vous sur Insolvency III ?

Anne-Sophie Noury : Le besoin d’harmonisation complémentaire entre les juridictions ne saute pas aux yeux, quand on teste les principes qui ont présidé à cette nouvelle proposition de directive. A contrario, on peut noter de grandes différences d’un Etat membre à un autre en ce qui concerne la responsabilité des dirigeants avec un traitement sévère pour ce dernier en Allemagne et en Italie. Ces variations peuvent induire un phénomène de forum, par exemple.

Aurélia Perdereau : Le premier projet mentionne la possibilité d’avoir des procédures de radiation administrative et liquidation des TPE. Ce changement ne serait pas très adapté à notre pays, dont le tissu économique est composé à 90% de TPE. L’introduction de la valeur dans le traitement des créanciers est aussi nouveau dans notre système.

Laura Bavoux : Un certain nombre de concepts qui figurent dans le projet sont déjà connus en droit français. Une des nouveautés, peut-être, réside dans la création d’un comité de créanciers sur décision de l’assemblée générale des créanciers qui devrait avoir un rôle plus accru que nos contrôleurs actuels. Cela sera intéressant de voir s’ils pourront proposer des solutions au tribunal et exercer un vrai pouvoir dans les procédures à venir.

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