Véritable révolution, la transposition de la directive insolvabilité rend concevable en droit français l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement à l’égard d’une classe de parties affectées dissidente grâce à l’application forcée interclasse (cross-class cram-down). Cet article a été réalisé avec l’implication de Jade Billère-Mellet et Hicham Kaddaha, collaborateurs chez Allen & Overy.
Hector Arroyo, associé, restructuring, Allen & Overy, Olivier Thébault, associé, marchés de capitaux, Allen & Overy
Celle-ci suppose le respect de certaines conditions, notamment la règle de la priorité absolue (absolute priority rule) et le test du meilleur intérêt du créancier (best interest test), dont bénéficient l’ensemble des parties affectées. A la différence des créanciers, le législateur a toutefois prévu des conditions supplémentaires au bénéfice des détenteurs de capital.
En effet, lorsqu’une ou plusieurs classes de détenteurs de capital ont été constituées et n’ont pas approuvé le plan, elles ne peuvent faire l’objet d’une application forcée interclasse que si, notamment, il apparaît raisonnable de supposer, « après détermination de la valeur du débiteur en tant qu’entreprise en activité, que les détenteurs de capital de la ou des classes dissidentes n’auraient droit à aucun paiement ou à ne conserver aucun intéressement » dans un scénario liquidatif (C. com. art. L. 626-32, I, 5°, b).
A cet égard, sont qualifiés comme détenteurs de capital « les membres de l’assemblée générale extraordinaire ou de l’assemblée des associés, des assemblées spéciales mentionnées aux articles L. 225-99 et L. 228-35-6 et des assemblées générales des masses visées à l’article L. 228-103 (…) » (C. com. art. L. 626-30, I, 2°).
Au regard de la lettre de cet article, les premiers commentateurs ont retenu que les porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital (« VMDAC ») doivent dans tous les cas être considérés comme des détenteurs de capital pour les besoins de la constitution des classes de parties affectées.
Cette analyse repose en grande partie d’une part, sur le parallélisme des formes employé par l’article L. 626-30 du Code de commerce et, d’autre part, sur l’usage répété du législateur consistant à désigner les titulaires de valeurs mobilières par leur appartenance à l’assemblée générale qui les réunit.
Il en ressort que les porteurs de VMDAC d’une classe dissidente pourraient faire échec à l’application forcée interclasse s’ils sont « dans la monnaie ».
Certains auteurs s’étonnent d’une telle conclusion. Le mécanisme de protection qui visait essentiellement à encadrer le risque d’expropriation des actionnaires bénéficierait par voie incidente aux porteurs de VMDAC.
Une telle protection semble également aller au-delà de la directive insolvabilité qui définit le détenteur de capital comme étant une « personne détenant une participation au capital d’un débiteur ou de son entreprise, y compris un actionnaire, dans la mesure où cette personne n’est pas un créancier ».
La directive dispose également que les Etats membres doivent veiller « à ce que les détenteurs de capital ne puissent empêcher ou faire entrave, de façon déraisonnable, à la mise en œuvre d’un plan de restructuration ».
Une lecture alternative de l’article L. 626-30 précité pourrait-elle être envisagée ? Serait-il possible de soutenir que les titulaires de VMDAC ne devraient être considérés comme une classe de parties affectées de détenteurs de capital que dans l’hypothèse où le contenu du plan impliquerait une décision de l’assemblée générale des masses visées par l’article L. 228-103 du Code de commerce ?
A cet égard, il convient de rappeler quels sont les cas nécessitant la réunion de l’assemblée générale des masses.
L’article susvisé dispose que « les assemblées générales des [porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital] sont appelées à autoriser toutes modifications au contrat d’émission et à statuer sur toute décision touchant aux conditions de souscription ou d’attribution de titres de capital déterminées au moment de l’émission ».
En outre, l’article L. 228-99 du Code de commerce dispose que l’émetteur doit prendre des mesures de protection au bénéfice des porteurs des VMDAC, lorsqu’il souhaite procéder à certaines opérations financières telles que l’émission de nouveaux titres de capital avec droit préférentiel de souscription réservé à ses actionnaires. Parmi les mesures prévues dans le texte, figure notamment la possibilité de mettre les porteurs en mesure d’exercer leurs droits, si la période prévue au contrat d’émission n’est pas encore ouverte, de telle sorte qu’ils puissent immédiatement participer aux opérations capitalistiques envisagées.
Deux situations pratiques pourraient alors être distinguées :
– le contrat d’émission prévoit des mesures de protection détaillées et/ou des stipulations sur les modalités des ajustements devant être mis en œuvre (les mesures légales de protection constituant un régime minimum). Dans une telle hypothèse, la convocation de la masse des titulaires de VDMAC pourrait ne pas être requise pour les opérations prévues au contrat ;
– le contrat d’émission est silencieux ou se borne à renvoyer aux dispositions légales applicables en la matière. Le législateur reste silencieux sur la nécessité de consulter la masse des porteurs lors de la mise en œuvre des mesures de protection et la doctrine reste partagée sur ce point. Dans un tel cas, il pourrait être soutenu qu’en ayant choisi de faire un simple renvoi à la législation applicable, les parties se seraient volontairement soumises à une application de mesures de protections laissée à la discrétion de la société sans avoir besoin de réunir l’assemblée générale des masses. A contrario, une approche prudente pourrait aussi être privilégiée, selon laquelle ces opérations, non prévues dans le contrat d’émission, exigent une décision de la masse puisque, par nature, elles engendrent une modification des termes initiaux du contrat en application de l’article L. 228-103 précité.
Au regard de ce qui précède, la nécessité de consulter l’assemblée générale des masses en amont d’un plan de restructuration pourrait dépendre de la rédaction du contrat d’émission et de la possibilité d’intégrer dans le plan une mesure de protection ne nécessitant pas une décision préalable de l’assemblée générale des masses. Auquel cas, il pourrait se poser la question de ne pas considérer les porteurs de VMDAC comme détenteurs de capital.
Indépendamment de cette question, la rédaction des termes des instruments devra faire l’objet de la plus grande attention afin d’en faciliter la gestion en cas de procédure collective. n