Pour le civiliste, cette question pourrait prêter à sourire tant elle peut paraître incongrue. En effet, l’article 529 du Code civil ne laisse aucun doute quant au caractère mobilier des parts ou actions de sociétés lorsqu’il énonce que « sont meubles par la détermination de la loi […] les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnies ».

Le fiscaliste sait que la composition de l’actif d’une société peut conduire à l’application de régimes d’imposition normalement réservés aux biens immobiliers pour les titres de sociétés à prépondérance immobilière (les « SPI »), sans pour autant que ces titres soient qualifiés de biens immobiliers (e.g., taxation des plus-values, droits d’enregistrement ou IFI). Les conventions fiscales les plus récentes se réfèrent systématiquement, dans leur article sur les gains en capital, à la notion de biens immobiliers : les plus-values réalisées sur ces biens sont taxables dans l’état de situation de l’immeuble tandis que celles réalisées sur des biens meubles sont taxables (sauf exception) dans l’état du cédant. Pour les conventions qui prévoient des dispositions sur la fortune, la même dichotomie est appliquée.
Les conventions les plus récentes définissent ce qu’il faut entendre par des SPI, qui sont assimilées à des biens immobiliers. Dans les plus anciennes, leur sort n’est pas tranché. La jurisprudence est donc venue apporter un éclairage sur cette question.
Jusqu’à récemment, la Cour de cassation retenait une approche civiliste de cette question. Ainsi, le fait que l’actif d’une société soit, en tout ou partie, composé de biens immobiliers ne change rien à l’analyse : les parts de sociétés demeurent des biens incorporels de nature mobilière1.
Cependant, dans un arrêt en date du 2 avril 20252, la chambre commerciale de la Cour de cassation a qualifié, de manière inédite, les parts de SCI de « biens immobiliers » au sens de l’ancienne convention franco-luxembourgeoise en s’appuyant exclusivement sur l’article 20 § 3 et 4 de la convention. Cette interprétation a conduit à l’assujettissement à l’ISF des associés luxembourgeois détenant ces parts. Cependant, cet arrêt ne semble pas constituer un revirement jurisprudentiel, car il concerne une convention (aujourd’hui abrogée) qui n’incluait aucune définition de la notion de biens immobiliers et ne contenait pas de clause de renvoi au droit interne sur le sujet.
L’approche adoptée par le Conseil d’Etat a évolué au cours des dernières années pour devenir purement fiscale. Dans une décision de principe du 24 février 20203, confirmée le 27 décembre 20214, il a jugé que puisque l’article 244 bis A du CGI traite de manière identique les cessions d’immeubles et les cessions de parts de SPI ; ces dernières doivent être assimilées à des biens immobiliers sur la base d’une lecture littérale des dispositions de la convention fiscale franco-belge (qui renvoyait au droit interne pour la détermination des biens immobiliers).
Cette approche soulève des interrogations tant d’un point de vue théorique que d’un point de vue pratique. Tout d’abord, cette décision nous semble entretenir une confusion entre la nature immobilière d’un bien et le régime fiscal qui lui est appliqué. Il qualifie de biens immobiliers les parts de SPI alors même que ni le droit civil, ni le droit fiscal ne semblent permettre cette qualification. En effet, le droit fiscal interne se borne à étendre le régime fiscal applicable aux biens immobiliers aux titres de SPI, il n’en change pas la nature juridique. Sur le plan pratique, cette approche génère des risques de double imposition lorsque l’Etat partie à la convention a conservé une approche plus civiliste par exemple.
Un jugement récent du tribunal administratif de Montreuil5 a appliqué les termes d’une convention fiscale comprenant une définition restrictive des titres de SPI de manière plus orthodoxe. Il a ainsi rejeté l’imposition d’une plus-value réalisée par une société néerlandaise lors de la cession de parts d’une SPPICAV française dont l’actif était composé de parts de SCI détenant des biens immobiliers français. Le juge administratif a privilégié une interprétation stricte de la convention sans lui juxtaposer des concepts plus récents intégrés dans la loi fiscale française et les conventions fiscales.
Il ne fait pas de doute que si cette affaire devait arriver devant le Conseil d’Etat, elle lui offrirait l’opportunité de préciser sa jurisprudence afin de garantir l’unité du droit et une meilleure sécurité juridique pour les contribuables.
1. Cass., Ass. plén., 2 octobre 2015, n° 14-14.256.
2. Cass. com., 2 avril 2025, n° 23-14.568.
3. CE, 8e et 3e ch., 24 février 2020, n° 436392.
4. CE, 8e, 27 décembre 2021, n° 451625.
5. TA Montreuil, 10e ch., 7 mai 2025, n° 2301787.