Depuis sa cooptation en tant qu’associé chez Hogan Lovells en 2012 au sein du département corporate, Stéphane Huten (43 ans) a creusé avec énergie et discrétion son sillon dans le champ fertile du capital-investissement et du M&A français et international. Un parcours de deal maker accompli qui lui vaut d’être distingué et élu par ses pairs avocat de l’année en private equity.
Peu de décorum pour Stéphane Huten quand il vous reçoit dans son bureau mais deux sièges noirs, simples, mis côte à côte pour mieux inviter à l’échange. Le décor austère, presque monacal, n’attend plus que d’être rehaussé par les reproductions de photographies de l’artiste franco-brésilien Sebastião Salgado. Tirées de l’exposition Amazônia à la Cité de la Musique, elles attendent sagement au sol qu’on les accroche enfin. Cet entretien accordé à notre magazine représente visiblement l’instant détente d’une journée qu’on imagine dense et prenante.
Stéphane Huten est né à Paris dans une famille de médecins aux amarres bretonnes. « J’ai aussi des racines italiennes par ma mère », précise-t-il. Le petit Parisien grandit dans la capitale et y fait sa scolarité jusqu’à une classe préparatoire au lycée Marcelin Berthelot, à quelques encablures du bois de Vincennes. Après la prépa, c’est l’Essec. Là, il y découvre le droit romain qui l’émeut plus que la comptabilité sur Excel, un peu aride à son goût. En parallèle, il s’inscrit donc à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) dont il obtiendra un DEA en droit des affaires en 2002, après avoir achevé ses études de commerce un an auparavant. Il est admis au Barreau de Paris en 2002. « Quand on combine le droit, qui est une matière avec une vraie profondeur, à la finance, on obtient en quelque sorte un solfège des affaires », résume-t-il.
Les études laissent un bon souvenir à Stéphane Huten. Pendant cette période, il jongle entre des enseignements de haute volée comme ceux de Béatrice Monsallier, consultante auprès des Nations unies sur des questions juridiques, les virées entre copains au Quartier latin et la voile, sport dont il est un fervent pratiquant. « A l’époque, on pouvait commencer le barreau tout en finissant un troisième cycle en école de commerce. La formation durait un an et non deux comme aujourd’hui. A l’heure actuelle, nous avons moins de diplômés dotés d’un double profil. Je le regrette car c’est généralement un gage d’efficacité accru », note-t-il.
Le saut dans le grand bain du LBO
A un forum de l’Essec au tournant des années 2000, c’est la rencontre avec les équipes de Willkie Farr & Gallagher. Un de ses amis, client du cabinet, lui recommande aussi d’y faire ses premiers pas. Voilà Stéphane Huten placé sur orbite. « Les opérations de LBO n’étaient pas aussi répandues que de nos jours. J’ai eu la chance de travailler avec Daniel Payan, un des avocats de la place de Paris qui a contribué à structurer la pratique », confie-t-il. Senior associate pendant 7 ans, Stéphane Huten fait ses armes sur des dossiers large cap essentiellement. Il travaille sur de nombreuses transactions pour PAI Partners (cession de Panzani à l’Espagnol Ebro Puleva pour 639 millions d’euros en 2005, rachat de Spie au fonds britannique Amec en 2006 pour 1,04 milliard d’euros, etc.). « Même très jeunes, nous avions la chance d’être responsabilisés sur des dossiers importants. Une bonne vieille méthode de formation ultralibérale qui consiste à pousser les gens dans la piscine pour voir s’ils nagent », se rappelle en riant l’avocat qui aime l’adrénaline et se serait bien vu pilote d’avion de chasse dans une autre vie. « Sur un bateau, passion que nous avons en commun, c’est l’équipier avec qui tout le monde a envie de travailler. Chez Hogan Lovells, où il est très bien entouré, il sait faire intervenir l’expert nécessaire sur tel ou tel sujet qu’il ne maîtrisera pas aussi bien car ce n’est pas sa spécialité comme l’IP, le fiscal ou le social », remarque Aurélien Klein. Managing director et associé chez Chequers Capital, fonds d’investissement ciblant l’upper mid-cap, ce dernier a connu l’avocat sur les bancs de l’Essec.
L’art d’effacer les tensions et les incompréhensions
En 2009, au moment où le marché se resserre sous l’effet de la crise, Stéphane Huten décide de voler de ses propres ailes. Il croise le chemin de Pierre Todorov, actuel secrétaire général d’EDF qui, à ce moment-là, était associé spécialisé en corporate chez Lovells. « Il a contribué à me mettre le pied à l’étrier avant de choisir, après la fusion avec Hogan, de rejoindre PSA Peugeot Citroën puis son employeur actuel », se souvient Stéphane Huten. La croissance du business, permise par la plateforme de services créée grâce au rapprochement des deux cabinets, est très rapide tant en capital investissement qu’en M&A. L’équipe s’étoffe avec l’arrivée en 2012 de Xavier Doumen passé lui aussi par Willkie Farr & Gallagher puis celle de Matthieu Grollemund et Hélène Parent en provenance de BakerMcKenzie en janvier 2021. « Le private equity/M&A est un sport collectif. Comme au football, il faut des gens talentueux à tous les postes et savoir faire tourner le ballon. En mer, un bon équipage ne parle pas beaucoup, car tout le monde sait ce qu’il doit faire. Dans un cabinet, c’est la même chose. Pour autant, il faut veiller à passer la bonne information en interne notamment auprès des jeunes recrues, le plus efficace étant de faire les dossiers ensemble », reconnaît Stéphane Huten pour lequel une négociation, c’est 95 % d’explications et 5 % de stratégie. Un talent que lui reconnaissent spontanément nombre de ses clients.
« En tant qu’avocat, Stéphane sait faire le tri entre les enjeux essentiels d’un dossier et les clauses plus accessoires. Il a un sens aigu de la négociation. Le relationnel d’affaires étendu qu’il a su tisser sur la place facilite également la conclusion des deals. Humainement, il est agréable à côtoyer et c’est un excellent technicien du droit aux fondamentaux robustes », dit de lui Julien Bentz, managing partner chez IDI, société d’investissement cotée et spécialisée en LBO et capital-développement auprès des PME/ETI. Depuis une dizaine d’années, Stéphane Huten intervient sur de très nombreuses opérations menées par le fonds (Talis, Alkan, FCG, Winncare, etc.). Les deux hommes partagent un amour de la voile et de la Bretagne. « Le temps nous manque pour régater ensemble. Pour l’instant, nous devons nous contenter de commenter l’actualité de ce sport nautique qui nous passionne », ajoute-t-il.
Trouver du sens à son travail au-delà du deal
« S’adapter à des environnements des affaires totalement différents et très complexes pour faire atterrir un deal est un des intérêts de notre métier », explique l’avocat qui n’apprécie rien tant que le sel de ces rencontres professionnelles mais aussi humaines enrichissantes. « C’est ce que je retiens de mon activité in fine. Aller chercher de belles affaires, déployer savoir-faire technique et vitesse d’exécution, c’est la base », juge-t-il.
Les enjeux dépassent parfois la simple négociation. « En France, il y a une démultiplication des deals dans les secteurs de la tech et de la santé », observe Stéphane Huten. Pouvoir contribuer au développement de licornes ou de sociétés innovantes et porteuses pour l’avenir du pays en orchestrant des opérations de private equity est un sujet de satisfaction renouvelé pour lui.
« Au-delà du droit, Stéphane saisit parfaitement les enjeux économiques d’une opération de M&A. Fin dans son jugement et dans son analyse, il sait aussi s’adapter à son interlocuteur. Il ne prend pas les gens de haut », affirme Arnaud Faure, associé chez Andera Partners au sein de l’équipe Andera Acto. « J’ai fait la connaissance de Stéphane fin 2016 dans le cadre d’un projet de croissance externe où l’une de nos participations, Groupe ADF, accompagné par Capitalmind, a racheté Latécoère Services. Le deal a nécessité une augmentation de capital, en partie financée par les fonds ACE Management, Etoile ID et Andera Acto. Nous avons pris Stéphane, recommandé par Michel Degryck, associé gérant de Capitalmind, comme conseiller juridique à l’achat dans le cadre de cette acquisition. Depuis, nous avons conclu de nombreuses autres opérations dont la cession en juin 2021 de la société de marketing digital TimeOne dont nous étions actionnaire minoritaire à Isoskele, filiale du groupe La Poste », complète-t-il. Amateurs d’opéra italien tous les deux, ils se retrouvent parfois dans les temples du genre parisiens pour en écouter des œuvres célèbres.
Une bouffée d’air frais avec la photo, la voile et l’opéra
Quand il n’enchaîne pas les deals, Stéphane Huten apprécie la photographie à laquelle les fondateurs de la galerie Polka l’ont initié. L’avocat n’aime rien tant que l’eau, salée de préférence. De la famille à Rennes, une petite maison dans la région de Dinard/Saint-Malo : la Bretagne tient une place particulière dans le cœur de l’avocat, « pénichard » autour de l’Ile Saint-Germain le reste du temps avec son épouse et ses quatre enfants. Deux garçons et deux filles de 5 à 12 ans qu’il dépose à l’école le matin et retrouve le lendemain au petit-déjeuner. « Grâce à l’essor du numérique, on peut profiter d’une vie familiale, même s’il faut souvent plancher sur quelques projets au cours du week-end », se réjouit-il. Et s’il reste encore un peu de temps ? Direction l’Opéra ou le théâtre pour rire et réfléchir avec Edouard Baer et Fabrice Lucchini.